Pour installer une culture commune, nous faisons preuve de clarté, patience et persévérance !
Un des gros enjeux du vivre ensemble a été, et reste encore (!) de mettre de la clarté sur la culture que nous souhaitons installer à Pourgues, et cela passe aussi par le cadre commun que nous acceptons de nous imposer… Parfois le cadre posé est une évidence pour le plus grand nombre, d’autres fois, il est le fruit d’un accord, un compromis, une solution qui va permettre de nous faire cohabiter avec nos points de vue différents. Les sujets concernés sont aussi vastes que le rangement, le bruit, l’hygiène, l’écologie, le respect des individus…
Les règles, définies ensemble (voir publication du 14 février sur le COVI), sont partagées et communiquées auprès de tous de manière claire et sans discrimination : elles s’appliquent à tous quelque soit l’âge. Toutes les règles qui apparaissent dans notre règlement sont issues de situations vécues, des cas pratiques qui ont nécessité de clarifier ce qui n’était pas acceptable dans les espaces communs à Pourgues.
Les règles peuvent paraître souvent très « basiques », du « bon sens ». Et bien, même si elles paraissent être une évidence, elles ont eu besoin, à un moment donné, d’être formalisées et s’inscrirent dans le règlement intérieur auquel on peut se référer aussi souvent que nécessaire. Les premières années, on avait besoin de s’y référer souvent …
(Les thèmes « phare » sont : le respect de la personne, le respect des espaces et de la propriété, le maintien de l’hygiène, de l’ordre et de la propreté, l’écologie…)
Le CEA, Comité d’Enquête et Arbitrage, qui est composé de 2 arbitres élus et 1 volontaire, peut être saisi en cas de transgression à une règle. Il est mandaté par le Conseil de Village pour établir les faits, identifier si une règle est transgressée et poser éventuellement un arbitrage. Toutes les décisions du CEA sont par la suite validées en Conseil du Village.
Le CEA peut poser des limites aux individus dans l’intention de sécuriser le reste du collectif. Là, c’est aussi un point important : l’intention du CEA n’est pas « éducatif » pour faire en sorte que la personne « change de comportement »… son intention est de protéger le groupe avant tout. Ensuite la personne fera son travail personnel de remise en question… ou pas… mais en dehors du CEA et avec d’autres outils.
Le CEA peut par exemple, lors de la délibération et afin de garantir une certaine sécurité, limiter l'accès à un espace, ou alors, interdire l’utilisation d’un outil, ou encore imposer un « non contact temporaire» (interdiction d’interagir) entre deux personnes lorsque leurs interactions provoquent trop de désagréments (cela est arrivé tant pour des enfants qui, quand ils étaient réunis nous en faisaient voir « de toutes les couleurs » …mais aussi pour des adultes dont la relation conflictuelle était telle qu’elle impactait les autres et l’ambiance)… Dans le cas des conflits interpersonnels, le CEA (qui s’avère parfois être une porte d’entrée) peut décider d’imposer d’utiliser d’autres outils qui vont favoriser le dialogue, l’écoute ou la médiation.
Exit les discours moralisateurs… lorsque le CEA se tient, nous nous efforçons de décrire de manière factuelle ce qui s’est passé. Il peut y avoir des versions différentes, et parfois cela nécessitera de faire appel à des témoins. Après avoir décrit et validé les faits, les arbitres évaluent si une règle a été enfreinte. Si c’est le cas et que la personne appelée reconnaît la situation, elle peut s’engager à ne pas le refaire, si cela n’est pas suffisant, les arbitres du CEA peuvent également poser un arbitrage.
Pour être honnête, avec les plus jeunes (4-5 ans), cela nécessite BEAUCOUP de patience mais cela fini par porter ses fruits : nous avons constaté que les plus jeunes finissent par saisir le CEA lorsqu’une situation les impacte et aussi qu’avec le temps, ils se portent volontaires pour être arbitre quand on en a besoin. En effet chaque habitant (y compris les enfants) peut prendre la casquette d’arbitre quand cela est nécessaire pour compléter l’équipe à 3 personnes.
Chacun est invité à déposer un appel quand il est victime ou témoin d’une transgression de règle qui ne peut pas se résoudre dans l’informel, ou alors à demander de supprimer une règle si elle ne lui paraît pas où plus appropriée, ou encore à proposer une nouvelle règle si elle fait défaut. Nous sommes tous co-responsables du climat qui règne à Pourgues.
Aujourd’hui le nombre d’appels en CEA a grandement diminué par rapport aux premières années… Bien sûr il arrive que l’on ai besoin de faire appel au CEA à nouveau mais la culture commune s’installe de plus en plus et on se félicite qu’il en soit ainsi. Il nous arrive encore, parfois, d’inscrire de nouvelles règles dans notre règlement et d’en modifier ou supprimer certaines. Rien n’est gravé dans le marbre, on peut faire des choix, les tester quelques mois et puis revenir dessus, nous sommes ouverts à l’expérimentation et la remise en question !
Le Conseil du Village, révélateur de la bonne santé de notre collectif.
A Pourgues, le Conseil de Village, appelé aussi COVI (attention, rien à voir avec le COVID !) est un révélateur de la bonne santé de notre collectif.
Au début de la création du village (il y a 5 ans !), c’était par ce biais qu'on actait TOUTES les décisions qui impactaient le collectif (les règles de vie au quotidien, notre fonctionnement, les projets…) . Du coup nos premiers COVI étaient loooongs… Souvent il y avaient des tensions interpersonnelles qui s’y exprimaient, et d’autres fois les propositions n’étaient pas assez « travaillées », on ressortait de là épuisés et clairement insatisfaits…
Il a fallu persévérer, s’armer de patience, se remettre en question et expérimenter de nouvelles manières de faire avant de trouver le bon fonctionnement qui soit fluide et satisfaisant pour tous.
Alors que s’est-il passé pour que ça se passe mieux ? Voici quelques éléments de réponse (non exhaustifs)
1) Nous avons mis en place un système de prévention et de gestion des conflits interpersonnels pour que les tensions puissent s’exprimer dans un autre cadre que celui du COVI. Et oui nous étions tellement focalisés à définir le cadre que nous avions mis de côté cet aspect là... Bon il faut dire que la réalité nous a vite rattrapés, et au bout de 6 mois un conflit interpersonnel entre 2 villageois a accéléré l’exploration et la mise en place d’un système préventif/curatif. Désormais nous utilisons régulièrement des outils tels que le "clearing", la médiation, l’écoute empathique ou encore les cercles restauratifs. Cela contribue grandement à avoir une ambiance apaisée et constructive de manière générale et dans nos réunions.
2) Nous avons "désengorgé" le COVI et libéré les initiatives. Notre système était trop bureaucratique et décourageait la prise d’initiative. Désormais tout n'a pas forcément besoin d'être validé en COVI, et la plupart des décisions ou projets sont validés à travers la sollicitation d'avis en communiquant sur un tableau prévu à cet effet. Cela dit, si 3 personnes demandent à ce que la sollicitation passe en COVI, il y a obligation de le faire. Dans les faits on voit que cela peut arriver 1 fois sur 10. (Voir le livre de Frédéric Laloux « Reinventing Organizations » pour plus d’infos sur la sollicitation d’avis)
3) Le/la responsable du cadre a un rôle clé, elle a l'autorité de distribuer la parole et peut rappeler à l'ordre ou interrompre une personne si elle sort du cadre. A noter que nous utilisons scrupuleusement le "tour de parole" c'est à dire que lorsqu'une personne souhaite s'exprimer, elle fait un signe au responsable du cadre qui l'inscrit sur une liste et chacun prend son tour dans l'ordre d'arrivée. Cela évite qu’on se coupe la parole et cela favorise l'expression de chacun. C'est désormais inscrit dans notre culture à Pourgues…
4) Lorsqu’une proposition soulève trop de questions et de débats, le/la responsable du cadre la renvoie à un groupe de travail de manière à "travailler la proposition" en dehors du COVI. Ainsi ce dernier reste avant tout une instance de décision. D’ailleurs chaque proposition est débattue dans un temps définit de 20 min, avec une éventuelle extension mais généralement, quand le temps est écoulé, on passe à la proposition suivante.
5) Lorsqu’une proposition en Covi est sensible ou complexe nous privilégions de la traiter en utilisant les « Chapeaux Bono ». Cela nous permet de mieux canaliser l’expression des demandes de clarifications/ réticences/ soutiens/ intuitions, éviter les débordements émotionnels, et aborder tous les aspects en profondeur.
6) Dernier point mais pas des moindres, la posture générale des villageois qui a évolué vers plus de confiance et maturité : alors qu’à nos débuts il pouvait être question, parfois, de faire valoir sa position quitte à être dans la confrontation, aujourd’hui chacun cherche à prendre en compte des besoins de l’autre et s’efforce, de manière constructive, à trouver LE bon compromis qui convienne à tous. Notre raison d'être est bien plus que jamais "La liberté d'être soi ensemble".
Cultiver l'écoute de son état intérieur et la connexion avec les autres
A Pourgues, nous cultivons l'écoute de son état intérieur et la connexion avec les autres
Avec le "Cercle villageois", par exemple, nous nous retrouvons une fois par semaine pour un temps de partage qui se déroule en 4 temps :
1. Météo
Chacun commence par faire sa météo en une minute pour dire comment il se sent... Cela peut se passer par un "scan" du corps / coeur / tête mais pas obligatoirement...
2. Partage émotionnel
Ensuite chacun a 5 minutes pour raconter ce qu'il vit en ce moment, sur la semaine écoulée, que ce soit en positif ou négatif. C'est un partage qui peut être émotionnel. Si jamais ce qui est déposé est trop "remuant" pour la personne concernée ou pour une personne présente (eh oui car on peut aussi parler d'un conflit que l'on vit avec une personne présente !), le facilitateur ou un participant du cercle peut sonner le gong pour faire une pause et proposer un autre cadre pour en prendre soin. (Écoute empathique, médiation, cercle restauratif...)
Bien sûr on peut aussi partager des joies ou des fiertés
Ces partages n'appellent pas de réponse de la part des autres villageois. Les villageois sont invités à ne pas juger ni rebondir. Il s'agit d'un temps ou chacun est libre de déposer ce qu'il souhaite en toute sécurité.
3. Propositions constructives / soutiens
Dans un 3eme temps, les villageois peuvent, au regard de ce qui a été déposé, faire des propositions pour apporter du soutien ou même tenter de résoudre certaines problématiques. On peut aussi juste convenir d'un groupe de travail qui se déroulera ultérieurement.
4. Météo de clôture
Et enfin pour clore la réunion une météo ou chacun va exprimer comment il/elle se sent après ce temps passé ensemble.
Ces moments sont précieux car ils viennent nourrir la connexion entre nous et nous incitent à :
- prendre le temps de sonder notre état intérieur
- mettre des mots sur ce qu'on ressent pour le partager
- oser "se montrer" et dire les choses, notamment lorsqu'il s'agit de choses tristes ou de tensions que l'on peut avoir, reconnaître des zones d'ombres, des peurs, des vulnérabilités qui ne sont pas révélées habituellement...
En bref nous vivons une incroyable aventure humaine !
L'envers du décor...
Vivre à Pourgues n'est pas juste un rêve et ce n’est pas toujours simple. Il arrive que certain.e.s pensent à nous, en visualisant la carte postale avec ce magnifique paysage vallonné avec pour horizon les Pyrénées, sans imaginer que, toutes ces collines qui nous entourent sont aussi, dans le quotidien, autant de perceptions différentes de la réalité qui viennent se confronter, se juxtaposer et parfois, allez disons le clairement : s’opposer et entrer en conflit.
Oui, nous assumons le fait que nous vivons régulièrement des conflits et nous sommes régulièrement amenés à nous en occuper… Que ce soit de manière individuelle ou collective.
Lorsqu'on vit en collectif on peut difficilement mettre un conflit "sous le tapis" ou derrière la porte, " vivre avec" ou faire comme si de rien n'était... En collectif, nous sommes à la fois associés, amis, voisins, collègues... Et tous ces univers de relations s'entremêlent...
Une bonne partie des tensions et des conflits sont gérés à travers l’amélioration de l’organisation et du cadre, qui sont régulièrement revus et corrigés pour prendre en compte les besoins et assurer l’ambiance la plus fluide et sereine possible. Et puis au delà de ces conflits là, il reste les conflits interpersonnels qui sont les plus complexes à traiter car ils font intervenir des émotions telles que le ressentiment, la colère, la tristesse…et ils peuvent aussi renvoyer à des blessures qui dépassent la réalité de ce qui se vit dans le présent et qui sont « réactivées » par certains miroirs que « l’autre » peut lui renvoyer lorsqu’on entre en relation…
Alors à Pourgues, nous nous sommes engagés collectivement à « marcher » dans le conflit lorsqu’il se présente et ne pas le fuir. Nous nous sommes accordés sur le fait qu’un conflit est systémique et qu’il a trop d’impact sur l’ambiance générale pour ne pas en prendre soin. Aussi la valeur dialogue est une valeur qui nous est apparue essentielle à cultiver et nous sommes allés jusqu’à l’inscrire dans notre règlement, ce qui veut dire que si on refuse le dialogue avec quelqu’un, on peut être appelé à en discuter en CEA (Comité d’Enquête et d’Arbitrage).
Aujourd’hui je vais vous parler du premier outil que nous avons mis en place dans notre collectif pour traiter les conflits interpersonnels, il s’agit d’un outil « curatif » : c’est le cercle restauratif. Si vous ne connaissez pas les cercles restauratifs, je vous invite à écouter Isa Padovani en parler à Sophie Rabhi et Laurent Bouquier dans cette magnifique vidéo par ici à partir de 1h05 . Cette pratique vient de Dominic Barter qui l’a développée dans les favelas au Brésil et elle représente un pilier important de notre fonctionnement à Pourgues.
N’importe qui peut déclencher un cercle restauratif, qu’il soit partie prenante ou simple témoin d’un conflit. Cette personne va solliciter un facilitateur identifié par le collectif. Suite à leur échange, ils vont décider si le cercle va se tenir, et le facilitateur va confirmer s’il veut bien le faciliter. Si oui, l’initiateur va formaliser un fait qui sera “une porte d’entrée” vers le conflit, et qui n’est pas forcément représentatif de l’ensemble du problème.
L’initiateur indique au facilitateur qui il souhaite inviter au cercle, et chaque personne invitée, peut elle même inviter des personnes qui lui paraissent pertinentes pour soutenir la résolution du conflit ou pour soutenir l’un ou l’autre protagoniste. Le facilitateur va rencontrer l’ensemble des invités dans le cadre d’un entretien d’avant le cercle, où chacun va pouvoir s’exprimer sur “la porte d’entrée” .
Lorsque le conflit touche l’ensemble des habitants, nous faisons appel à un facilitateur externe. Nous sommes 4 personnes sur le lieu à avoir suivi une formation à la facilitation avec Michaël Boutin (https://mb13.org). Lorsque nous nous sentons suffisamment détachés et neutres vis à vis du conflit, nous facilitons nous-mêmes le cercle.
L’intention première du cercle restauratif est de rétablir le dialogue : on parle souvent de « livrer sa colline », entendu comme « livrer sa réalité », exprimer les choses telles qu’on les voit de notre point de vue.
Alors attention, il ne faut pas croire que cela se passe de manière tranquille et confortable : cela est au contraire plutôt très inconfortable, car chacun va être amené à exprimer ce qu’il vit de manière authentique, quitte à, comme on dit en CNV, « livrer son chacal »…En plus de ça, on va être amené à reformuler ce que l’autre nous renvoie, même si on est totalement en désaccord et que cela nous paraît injuste, malhonnête ou violent…
Cette première phase où chacun va livrer « sa colline » et être invité à rejoindre la colline de l’autre est essentielle et peut prendre 1 heure, 2 heures parfois toute une journée et vous pouvez imaginer à quel point ce qui « se joue » peut être difficile et délicat :
- se connecter à ses émotions et mettre des mots sur ce que l’on vit, ouvrir son cœur, se livrer même si « c’est pas beau à montrer ».
- accueillir la « colline de l’autre » la décrire par la reformulation même si elle ne nous plait pas et nous remet en cause.
Pendant le cercle, les invités vont être en soutien et vont aider à la résolution. Parfois ils vont agir comme des interprètes qui vont aider les protagonistes à se comprendre, comme s’ils ne parlaient pas la même langue, parfois les invités vont eux mêmes déposer des tensions qui leur appartiennent et qui son liées à la même problématique…
Si cela est possible et quand cela est le moment, le cercle va se conclure sur un plan d’action avec des actions qui peuvent être proposées de manière individuelle ou collective et un rendez vous est pris par la suite pour en faire le bilan.
Le niveau profondeur que nous avons atteint dans le cadre de nos cercles à Pourgues, notamment depuis que nous avons visionné cette vidéo de Isa Padovani en 2020, est bien plus profond que ce que nous avons pu connaître à nos débuts. Il me semble qu’au début, nous étions un peu frileux de livrer notre colline de manière totalement authentique et dévoiler le fond de nos pensées et surtout montrer nos parts les plus sombres...
Aujourd'hui, il semble que nous avons acquis un certain niveau de confiance en nous, mais aussi dans les autres et dans l’outil des cercles. En effet nous nous autorisons à exprimer des choses difficiles à l'autre et sommes plus ouverts à accueillir des choses difficiles ou désagréables qu'on nous renvoie.
Chacun essaye de prendre le recul nécessaire pour être à l’écoute de l’autre, l’accueillir avec sa réalité, reconnaître qu’il n’y a pas UNE réalité, qu’il n’y a pas UNE personne qui a raison et l’autre qui à tort et que chacun fait de son mieux… On œuvre tous à mieux se comprendre, à être indulgent, et accepter et reconnaître l’autre dans sa différence et avec ses imperfections…
Tout ce qui se passe pendant un cercle restauratif est « à vivre ». Il n’y a pas de cercle « réussi » ou « raté ».
Chaque cercle est un grain de sable qui contribue à la paix dans nos relations. Bien sûr cela prend du temps… Tout ne se résout pas du jour au lendemain. Parfois il nous faut vivre plusieurs cercles, et parfois il faut plusieurs mois après un cercle pour que les choses évoluent. Chacun chemine à son rythme… mais ce qui est sûr c’est que nous cheminons tous ensemble vers une hygiène de vie qui inclue le dialogue, l’authenticité, l’écoute de l’autre et la responsabilité…
C’est un travail et un investissement dans la durée qui demande de la patience et… du courage. Oui je pense qu’il faut du courage pour avoir envie de dépasser les conflits et investir autant de temps et d’énergie dans leur résolution plutôt que simplement les fuir ou les esquiver.
Pour finir je citerai Dominic Barter : « Aujourd’hui, j’ai compris que le conflit n’est dangereux que quand on essaie de s’en éloigner ».
De la liberté d'instruire nos enfants... autrement
Aujourd'hui je viens vous partager ce que nous vivons à Pourgues en terme d'éducation et d'instruction de nos enfants.
Cela me paraît d'autant plus important qu'à l'heure actuelle, en France la liberté d'instruire nos enfants en famille (IEF) est remise en question, et que nous sommes en pleine période de "contrôle" par l'inspection de l'Education Nationale...
Alors qu'aujourd'hui l'IEF est soumis à un régime déclaratif, demain nous devrons obtenir une autorisation "préalable", et nous n'avons aucune garantie de rentrer dans la case potentiellement envisageable : "situation propre à l'enfant"...
A Pourgues, les enfants sont donc déclarés en IEF et cela implique que tous les ans, nous avons un contrôle qui valide ou pas la réalité de l'instruction et qui nous autorise à continuer (ou pas !) dans cette démarche.
Depuis 5 ans, à Pourgues, les enfants ont eu des résultats favorables à ces contrôles, malgré un choix radical de suivre le ryhtme de l'enfant.
Alors en quoi consiste ce choix ?
Récemment Marjorie a présenté lors d'une conférence (au salon "Vivre autrement" à Paris) les points saillants de ce que nous vivons à Pourgues. Je vous partage ici quelques réflexions issues de sa présentation ainsi que des éléments que j'ai pu partagé lors de l'atelier questions réponses qui en a découlé.
A Pourgues, il n'y a donc pas d'école, les enfants ne sont pas des élèves, il n'y a pas d'emplois du temps pour organiser les apprentissages (du moins pas de manière systématique), et les enfants ne sont pas répartis par groupe de tranches d'âge.
Pourgues est un lieu de vie où les habitants ont entre 1 an et 72 ans. Ces personnes évoluent et interagissent librement au gré de leurs goûts et aspirations. La transmission des savoirs se fait de manière naturelle, sans planification ni contrôle, et dans tous les sens : des plus âgés vers les plus jeunes mais aussi des plus jeunes vers les plus âgés et également bien sûr entre les personnes du même âge.
A Pourgues, c'est comme si on avait recrée une petite tribu où on partage le lieu de vie mais également, notre activité économique (autour de l'accueil et des formations).
Le fonctionnement du village est démocratique et nous avons à cœur de partager cela avec les plus jeunes. Ainsi, ils peuvent prendre part aux décisions, faire des propositions et participer aux délibérations.
Autre ingredient essentiel dans lequel les enfants "baignent" depuis le plus jeune âge, c'est la culture du respect et du dialogue. En effet, la notion de liberté n'est pas suffisante en tant que telle : elle a besoin d'être adossée à la responsabilité et au respect de l'autre...car la liberté de l'un peut venir s'opposer à la liberté de l'autre et l'enjeu va consister à trouver le bon compromis, le terrain d'entente, même si cela nécessite de poser des limites à la liberté. Ce compromis va être trouvé ensemble grâce au dialogue.
Le dialogue devient donc un ingrédient essentiel dans ce "vivre ensemble" dès le plus jeune âge et en permanence....
Nous avons mis en place des outils pour protéger le cadre quand il y a des règles transgressées de manière répétée (avec le CEA Comité Enquête et Arbitrage), mais également nourrir l'écoute et la compréhension de l'autre lorsqu'il y a des tensions, voir des conflits entre les personnes, avec des outils tels que le clearing ou les cercles de parole ou les cercles restauratifs. Tous ces outils sont utilisés tant par les adultes que par les enfants aussi souvent que nécessaire. Ainsi, tout comme nous, ils s'exercent à mettre des mots sur leurs émotions, exprimer leurs ressentis, s'autoriser à poser leurs limites, exprimer leurs besoins, écouter l'autre et le prendre en compte.
Souvent on nous demande : "mais concrètement comment se passe une journée pour un enfant à Pourgues ?".
Vous l'aurez compris, il n'y a pas d'emploi du temps "type".. chaque enfant va organiser sa journée comme il le souhaite en prenant en compte sa réalité familiale...
Chaque noyau familial a ses habitudes tant au niveau des temps de repas (en famille ou pas), des règles et pratiques (par ex au niveau du temps d'écran s'il est limité ou pas), des temps ou sorties en famille...
Régulièrement, des amis également en IEF viennent passer la journée chez nous, parfois nous sortons au lac ou au skate parc, ou même au ski....
Chaque famille est ultimement responsable de rendre compte de l'instruction auprès de l'Education Nationale et donc, chaque famille s'organise comme bon lui semble. Pour ma part, avec un enfant de 9 et un de 11 ans, nous pratiquons un temps d'étude journalier d'environ une heure. Cela ne signifie pas que l'instruction que nous accordons se limite à une heure par jour car en réalité, nos enfants apprennent tout le temps, dans plein de situations diverses et au contact des autres villageois qui leur accordent souvent et bien volontier du temps de qualité.
Tous les ans lors du contrôle avec l'inspecteur de l'éducation nationale j'explique qu'une part non negligeable des apprentissages se fait par les conversations. Et oui, à Pourgues on passe beaucoup de temps en conversation... Entre enfants et adultes, entre enfants... On discute, on débat, on partage, on questionne, on argumente... Dans la mesure où la plupart des personnes ici ont plaisir à partager du temps et d'échanger avec les plus jeunes que ce soit sur l'actualité (sanitaire, politique, internationale...), les jeux, le sport, les films, les BD... tout est prétexte à partager des connaissances et compétences... Et cela se passe d'autant mieux que cela se fait par pur plaisir de partager et non dans une intention pédagogique d'apprentissage. On partage avant tout ce qu'on aime et ce qui nous intéresse.
Je suis, par exemple, passionnée de jeux de société et je constate que c'est un vecteur riche d' apprentissages en faisant travailler des compétences telles que les mathématiques, la lecture, la gestion des ressources, la planification, parfois l'histoire et la géographie et aussi la concentration et la prise en compte de données multiples, la négociation, l'imagination, la diplomatie, l'humour... Je vous rassure, on joue avant tout pour le plaisir mais il y a tant d'autres composantes qui sont alimentées dans ces moments conviviaux !
Autre exemple, Marjorie, passionnée de taekwondo partage des moments de sport avec les adultes et enfants motivés.
Autres exemples non exhaustifs, nous avons parmis nous des passionnés de cuisine, de jardinage, de basket, d'anglais, de nature, de bricolage ou de construction... Adultes et enfants avons la chance de partager un vivier de connaissances. Sans compter toutes les personnes qui viennent séjourner chez nous et qui nous apportent également des partages riches.
Les interactions sont authentiques et spontanées et on pourrait s'étendre longuement pour décrire ce qui se passe au travers du multi âge... Par exemple ma fille de 9 ans qui prend soin des plus jeunes, une partie de basket improvisée entre adultes adolescents et plus jeunes, un temps de cuisine avec un ancien chef cuisinier avec un mélange adulte enfant... à Pourgues on apprend tous les jours et sans distinction d'âge...
Tout comme la grande majorité des familles "IEF" nous sommes loin des dérives sectaires décriées et aspirons à garder cette liberté fondamentale de choisir le mode d'instruction à offrir à nos enfants.
Merci aux associations qui oeuvrent au maintient de l'IEF telles que (liste non exhaustive) :
- FELICIA Fédération pour la Liberté de choisir son Instruction et ses Apprentissages https://federation-felicia.org/agir/
- UNIE Union Nationale pour l'Instruction et l'Épanouissement des enfants
- LEDA Les Enfants d'Abord https://www.lesenfantsdabord.org/
Regard d'une ancienne prof : de l'éducation nationale au village qui élève ses enfants
Je suis une de ces profs des écoles, et nous sommes de plus en plus nombreux.ses, avec le sentiment d'avoir tout essayé au sein de l'Education Nationale sans jamais trouver une pleine satisfaction. Durant sept années, j'ai été au contact de tous les niveaux, de la petite section jusqu'au CM2. J'ai appliqué dans ma classe les principes de la pédagogie Freinet et Montessori. Plutôt que de mener un enseignement purement classique du programme par matières, j'essayais en premier lieu de donner du sens et du plaisir aux apprentissages en partant des centres d'intérêts de mes élèves, en utilisant du matériel ludique et auto-validant, et en animant des défis et projets collectifs. Malgré ce qui peut être considéré ici comme le graal en matière d'enseignement, je sentais que des éléments de contexte essentiels à l'éducation des enfants m'échappaient.
Lorsque j'ai fait la rencontre de Ramïn Farhangi en 2014, porteur du projet de l'école Dynamique basée sur le modèle Sudbury, j'ai compris instantanément ce qui manquait dans ma classe : faire l'expérience de ce qu'on peut tout simplement appeler "la vraie vie". Je pouvais déployer autant de pirouettes et de prouesses pédagogiques qu'on veut pour transmettre aux enfants les bases des langages mathématiques, scientifiques, littéraires, etc. Toute cette transmission se faisait néanmoins dans un contexte hors-sol, avec un regroupement artificiel par classes d'âges, et une maîtresse du jeu qui établissait des règles et un cadre d'intéractions propres à l'école, que l'élève ne rencontrera jamais dans le monde réel.
Je me suis alors mise en quête, avec l'équipe de l'école Dynamique puis de l'éco-village de Pourgues, d'élaborer un contexte plus éducatif encore, et cela passait nécessairement par la création d'un cadre toujours plus immersif dans la vraie vie, au contact de vrais gens qui font des vraies choses. Je me suis alors attelée à décloisonner les âges, les espaces et le temps pour répondre aux besoins éducatifs les plus fondamentaux des enfants.
Ce fut loin d'être chose aisée. Il ne suffit pas de décréter le décloisonnement, la liberté de l'enfant, l'éducation démocratique, la coopération, la bienveillance et autres beaux principes pour créer un contexte idéal. J'ai énormément expérimenté, tâtonné, remis en question mille et une choses mille et une fois. Et c'est seulement au bout de sept années encore à œuvrer avec mes collègues, les parents et les enfants que je suis arrivé à créer un contexte duquel je me sens satisfaite et même fière, et où je vois mon fils évoluer en toute confiance. J'ai (re)créé ce lieu qui fait honneur au fameux proverbe africain : "il faut tout un village pour élever un enfant".
A quoi cela ressemble concrètement aujourd'hui ?
Pourgues rassemble une quinzaine d’enfants de 1 an à 14 ans au quotidien. Mais la plupart du temps, ce groupe d’enfants est plus vaste et fourni en tranche d’âge, car nous sommes un lieu d’accueil où de nombreuses familles viennent séjourner chez nous pour de multiples raisons. Certains viennent en séjour vacances, d’autres à la journée, ou encore en immersion pendant des mois. Peu importe, nous les accueillons chez nous car, d’une part nous adorons recevoir pour ne pas vivre l'entre-soi, et d’autre part le multi-âge est essentiel pour l’éducation de nos enfants. Il optimise la transmission des savoirs, des savoirs-faire et des savoir-être. Même l’EN reconnaît sa pertinence puisqu’il invite ces enseignants à décloisonner : mélanger les niveaux de classe sur certaines plages horaires et matières, travailler par paire et système de tutorat pour certaines activités, inviter les maternelles à visiter l’école primaire etc. Nous partageons le même constat que cela favorise les apprentissages. Nous avons juste poussé la logique jusqu’au bout.
A Pourgues, se rassemblent donc régulièrement 25 enfants de 1 an à 18 ans qui interagissent en permanence les uns avec les autres. Ils peuvent choisir de s’associer avec un pair pour une activité ponctuelle, un projet long terme ou une simple conversation selon leurs centres d’intérêt, leurs besoins et leurs sensibilités. Ce multiâge total permanent permet du sur mesure à chaque instant, dans cette quête de sens et d’enthousiasme que revêt tout apprentissage.
Aussi, Pourgues rassemble une vingtaine d’adultes qui interagissent au quotidien avec les enfants, élargissant encore le multi-âge. Avec une autre villageoise, nous avons eu à cœur de structurer davantage les emplois du temps et les périmètre d’action de chaque adulte pour intégrer au mieux les enfants dans notre vie quotidienne. Convaincu que les apprentissages se font dans un environnement réel, et non hors sol, nous avons permis aux enfants d’être partie prenante de toute la vie à Pourgues (le vivre ensemble, l’activité économique, les conflits, la gestion d’un foyer etc), où tous nos outils de travail au sens large du terme leur sont rendus accessibles, du vote à la majorité au Conseil de Village, à la médiation par les pairs, en passant par la préparation du repas ou la budgétisation d’une sortie.
En vous partageant des exemples ordinaires de ce que font concrètement les adultes et les enfants, vous arriverez à visualiser à quel point Pourgues est une école de la vie, où les âges, le temps et l’espace ont été décloisonnés, pour permettre une véritable immersion dans le vrai monde :
Lors d’une réunion matinale, N. (11 ans) partage au groupe comment elle se sent ce matin en arrivant, et ce qu'elle envisage de faire de sa journée.
R. prépare le repas avec une équipe de 3 enfants. On épluche, on découpe, on goûte, on questionne la recette, on discute…
Y. anime un atelier clown de deux heures avec une quinzaine d'enfants. Ils apprennent à improviser sur scène, à développer une relation plus authentique à eux-mêmes et au monde
G. discute avec trois ados de sa vie, de leur vie, de la vie.
X. anime un Comité d'Enquête et d'Arbitrage pour que les infractions au règlement soient reconnues et que le cadre s'applique de manière claire et ferme
J. joue au basket avec un groupe de jeunes.
R. lit un livre pour un groupe de petits de 1 à 4 ans.
M. (9 ans) lit l’heure à A. (5 ans) pour assurer leur responsabilité de nourrir les poules, sans supervision adulte.
K. fait les comptes du mois avec I. (12 ans)
Z. (5 ans) et L.(8 ans) jouent aux échecs.
B. assure le désherbage et le paillage avec une équipe de 5 enfants.
Z. (5 ans) et L.(7 ans) prennent soin de E.(1 an) qui pleure.
etc. etc.
Tout au long de la journée, à chaque scène que j'assiste, je me dis que nous vivons une situation particulièrement privilégiée, de vivre cette réalité du petit village autogéré qui intègre autant les enfants à son fonctionnement et à la vraie vie. Je me dis qu'il y a probablement un grand nombre de personnes qui aspirent à connaître cette approche éducative en profondeur et s'en inspirer.
C'est une des raisons pour lesquelles je propose, depuis 2019, le stage Éducation Démocratique que je co-anime avec Elfi Reboulleau, autrice de Qu'est-ce que l'âgisme ? En tant que parent, enseignant, et/ou éducateur au sens large, si cette expérience est parlante pour vous, cette semaine de stage immersif à Pourgues est l'opportunité de bénéficier d'une expérience qui reste aujourd'hui très rare en France.
Pourgues et le Précieux Facteur Humain – Vie en collectif et alchimie
Comment passer du « Putain de Facteur Humain » au « Précieux Facteur Humain » ?
Ce que j’expérimente en ce sens tient en deux tous petits mots, qui ne sont pas aussi simples qu’il n’y paraît : avec amour.
Au sujet des éco-villages et autres initiatives de vie en collectif plane une sorte d’épée de Damoclès étrange, à la fois invisible et omniprésente, une sorte de cailloux dans la chaussure, de cheveu sur la soupe, une fatalité ingérable et dont on se passerait bien : le fameux « PHF », dont le charmant sigle signifie « Putain de Facteur Humain ».
Pour ceux qui n’en ont jamais entendu parler, je vous résume la croyance : « De super projets se lancent et tout est ok au niveau des finances, du lieu, de l’activité… mais ce qui les fait capoter, c’est invariablement le « PHF », soit les tensions et conflits entre les participants. »
Des outils sont alors proposés pour « gérer au mieux » ce paramètre qui peut faire obstacle à la réalisation d’une projection idéalisée de vie en collectif.
Je ne me sens pas satisfaite par cette proposition. Mon vécu, ici au Village de Pourgues, m’amène plutôt à renverser cette représentation.
Et si ce paramètre incontrôlable, plutôt que d’être une cause probable d’échec pouvait en réalité être le facteur principal de réussite d’un projet ?
Et si nous passions du « Putain de Facteur Humain » au « Précieux Facteur Humain » ?
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Je propose pour cela d’imaginer un processus alchimique, dans lequel tous les conflits (l’endroit où deux représentations du monde s’entrechoquent), les émotions et instincts non reconnus, les ego immatures, les croyances figées, au lieu d’être une source de problèmes sont la matière même de la pertinence d’un collectif.
Comment les voir se transformer en or ? L’or symbolisant ici l’accueil de l’altérité, l’acceptation de la différence, l’évolution mutuelle, le lien tissé en profondeur, l’épanouissement de chacun et la reliance des différentes singularité dans un tout harmonieux et unifié ?
Ce que j’expérimente ici en ce sens tient en deux tous petits mots, qui ne sont pas aussi simples qu’il n’y paraît : avec Amour.
N’est-ce pas par amour que nous acceptons de remettre en question nos points de vue, d’essayer de voir et de comprendre l’autre où qu’il se trouve, de nous ouvrir et de tenter d’exprimer notre vécu même si ça fait mal, même si ça fait peur, même si la colère fait bouillir notre sang ?
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Le « casting » de Pourgues est intéressant en ce sens. En effet, nous sommes tous très différents, beaucoup plus que ce que nous aurions pu imaginer. Cohabitent des végétariens et des personnes consommant de la viande, des calmes et des fêtard, ceux qui aiment être nus et d’autres qui ne veulent pas voir de nu, des personnes ayant fait le choix d’une alimentation vivante et d’autres tenant à une alimentation plus traditionnelle, des personnes ayant des relations amoureuses multiples et d’autres qui préfèrent l’exclusivité… tout et tout le monde étant en constante évolution.
Ce qui nous aide énormément à réaliser cette alchimie, ce sont les espaces privilégiés dans lesquels nous pouvons exposer notre vécu, et entendre celui de l’autre. Les cercles restauratifs (à la demande), le forum Zegg (chaque semaine) et nos séminaires internes « Tissage de lien » (deux fois par an) en particulier nous ont permis d’avancer en ce sens. L’écoute empathique (à deux, trois, quatre ou beaucoup plus), les chapeaux de Bono et de simple discussions ou groupe de travail aussi sont souvent un espace pour s’entendre.
Et au-delà des outils, c’est une ambiance d’ouverture et de prendre soin de ce précieux facteur humain qui s’est installée peu à peu.
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D’abord, la structure.
Nous avons commencé par poser un cadre issu des écoles Sudbury qui est sécurisant dans sa justesse et dans sa rationalité maîtrisée. Nous avions besoin de cette colonne vertébrale, de cette structure pour pouvoir ensuite aborder cette question du facteur humain sans tomber dans certains travers regrettables, imputés généralement au PHF ancienne version.
Aller directement à la case « sensible » -exploration des émotions, des croyances, de l’irrationnel-, sans s’assurer d’abord d’avoir une gouvernance et un fonctionnement hyper clair et solide sur un plan pratique et rationnel, c’est parfois voir des rapports immatures à l’autorité et au pouvoir, au désir, à la toute-puissance, à la quête affective etc. ressurgir avec violence.
Le fait d’avoir placé la liberté individuelle comme notre centre commun ici va permettre de ne pas pouvoir mettre de pression aux autres quant à leurs cheminement personnel, et va renvoyer constamment à l’auto-responsabilisation.
Un jeu de miroirs permanents qui ne permet pas les attentes infondées par rapport à l’autre.
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Peu importe nos « bonne intentions », elle ne prévalent pas sur notre tronc commun : le respect de l’individualité et la confiance en l’intelligence de la vie. Alors oui, c’est un pari à long terme, qui demande de la foi, de la patience, des ajustements. Mais ce pari commence par revaloriser la matière humaine brute, par relever ses manches et y mettre tout notre coeur sans attente, avec la conscience de notre maladresse, de notre imperfection. Gagner en humilité, et agir quand même.
Aimer les différences, les « défauts », leur accorder de l’attention et les apprécier, sans chercher à faire changer l’autre pour qu’il rentre mieux dans la case de notre représentation du collectif idéal.
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Voilà où j’en suis aujourd’hui, contemplative et agissante, dans l’envie de traiter avec encore plus de précaution ce Précieux Facteur Humain, tel qu’il est.
L’autonomie face au coronavirus ? Réponse depuis Pourgues. Article paru dans la revue Kaizen en mai 2020.
Ils sont confinés mais autonomes ! Avant la crise sanitaire du Covid-19, des femmes, des hommes ont choisi la voie de l’autonomie. Par conviction. Pour imaginer et vivre autrement, en respectant l’homme et la nature. Muriel Barra les a rencontrés, filmés pour réaliser une série documentaire : « Un autre chemin, à la découverte des choix de vie en autonomie ». Ils témoignent de leur vie pendant ce confinement. Récit depuis Pourgues, en Ariège, de Marjorie Bautista et Xénia Hadjigeorgiou.
Pour l’instant, au village de Pourgues, cette crise est vécue de manière sereine. Pourtant notre activité économique est bien impactée car nous avons dû annuler quelques semaines de formations et d’accueil… Et nous sommes, comme tous, très incertains sur la suite : “Que sera-t-il possible de faire ou pas en terme d’accueil, notre principale source de revenu aujourd’hui ?”
Nous faisons partie des privilégiés qui vivent à la campagne, dans un département à faible densité de population et peu impacté par le Coronavirus. Nous vivons confinés entre nous au sein du village (17 adultes et 8 enfants), et nous nous sommes davantage organisés pour les sorties afin de les limiter au maximum conformément aux décisions gouvernementales. Néanmoins, nous vivons plutôt bien le confinement: nous continuons nos activités habituelles, (hors période d’accueil) avec la cuisine, l’aménagement intérieur et extérieur, les temps décisionnels et d’échanges collectifs, la construction, le jardinage… Nous avions heureusement nos stocks de graines, et avons pu démarrer nos semis dans les temps et même augmenter les quantités prévues initialement! Finalement, le confinement nous permet de nous retrouver tous ensemble, entre habitants exclusivement, sur une période plus longue et sans coupure, ce qui nous amène à consolider nos liens et à aller vers l’essentiel. Nous venons ainsi de nous réunir sur cinq matinées, une sorte de séminaire annuel qu’on appelle « Tissage de lien », pour voir comment accélérer la résilience que nous avons déjà engagée. Nous sommes donc encore plus soudés et motivés pour accélérer le mouvement et envisager l’avenir.
Des anciens citadins
La plupart d’entre nous sont des anciens citadins. Cette crise nous fait davantage nous rendre compte à quel point nous sommes heureux d’avoir opéré un changement de vie radical il y a quelques années. Ce changement de vie a été voulu et choisi par nous tous et nous avons pu le faire à notre rythme dans un contexte serein… C’est une chance ! Quand nous sommes arrivés à Pourgues, notre motivation principale était la quête d’une vie avec plus de sens et de simplicité, une vie plus proche de la nature et de nos enfants. Beaucoup ont ainsi quitté la sécurité de l’emploi (parfois avec un bon salaire et un bel appartement) pour ce projet collectif où l’on mutualise les ressources, les énergies et les compétences pour vivre autrement. Aujourd’hui, nous avons tous bien réduit notre train de vie et nous avons pourtant amélioré notre qualité de vie. Nous vivons mieux avec moins d’argent et moins de dépenses. Finalement, ce cheminement vers l’essentiel et la résilience était déjà en cours avant la crise.
La crise que nous traversons est certainement une invitation mondiale à une remise en question sur plein de dimensions… Cela part du niveau individuel sur le choix de vie, et ça va jusqu’au niveau national sur les choix politiques de chaque pays. Aujourd’hui nous découvrons les limites de la mondialisation qui rend nos sociétés fragiles et vulnérables partout dans le monde : ”Qu’avons nous laissé faire, voire cautionné, pour en arriver là ?” Nous pouvons parler du démantèlement du service public pour réduire les coûts au détriment de la santé, de la délocalisation de la production à l’autre bout du monde pour réduire les coûts, de la dégradation de l’agriculture au profit de l’industrie chimique, du manque de soutien aux petits producteurs qui recherchent la qualité plutôt que la quantité…
Cette crise est probablement un avertissement ou un signal annonciateur d’une autre crise à venir qui sera plus lourde encore… (Economique ? Énergétique?…). Pourtant au niveau citoyen, le mouvement grandi pour un changement de fond, mais nous pouvons craindre que le système sera difficile à faire évoluer.
Portons nos espoirs sur les initiatives locales !
De plus en plus de personnes se mobilisent et se réunissent pour changer de vie ou consommer autrement… Des petits pas, certes, mais nécessaires car nous ne pouvons pas attendre que le changement vienne de l’État. Même si on parle déjà d’un grand plan de restauration de l’autonomie alimentaire, sanitaire et pharmaceutique, il faut investir dès à présent au niveau local pour trouver des solutions à ce désordre mondial. Il est temps de privilégier davantage les circuits de consommation courts et locaux, ainsi que la qualité des produits. La sortie de crise sera impossible sans changement radical. Nous sommes maintenant face, à l’échelle planétaire, aux limites d’un système que les Etats ont cautionné. Demain, les nouveaux choix politiques seront forcément à contre courant des choix engagés précédemment.
Des outils démocratiques
En ce qui concerne l’éducation, nous avons ici fait le choix de l’instruction en famille: un choix en cohérence avec notre choix de vie. Nous ne comptons pas sur l’école pour instruire nos enfants et considérons que partager notre vie avec eux est la meilleure manière pour eux de s’éduquer. Nous ne leur imposons pas un programme et un emploi du temps. Ils décident par eux-mêmes de ce qu’ils souhaitent apprendre, quand, avec qui et comment. Ils évoluent dans un environnement avec des adultes aux compétences variées, bienveillants et disponibles si besoin. Des adultes qui utilisent des outils démocratiques pour vivre et faire ensemble.
Des adultes qui réfléchissent à la résilience et entreprennent des actions concrètes au quotidien : semer et planter, récolter et transformer, fabriquer et recycler, négocier et prendre soin… Autant de savoirs et de savoirs-faire qu’ils absorbent en vivant à nos côté. Nous leur offrons un contexte de vie complexe et réel où ils peuvent jouer librement autant que possible, avec des personnes de tout âge (quel bonheur d’avoir des copains de jeu de 3 ans, 10 ans ou 40 ans !) car nous pensons que c’est la meilleure manière de développer tout ce dont ils ont besoin pour appréhender notre monde. Et notamment des compétences créatives, d’adaptabilité et relationnelles qui sont des incontournables à la résilience. Quoi de plus optimal en matière d’éducation pour traverser une crise !
Marjorie Bautista et Xénia Hadjigeorgiou – Eco-Village de Pourgues, Le Fossat
Pour aller plus loin : https://vimeo.com/317491934
L'éducation démocratique c'est quoi ? épisode 3 : "L'art de ne rien faire! "
Pourquoi pensons-nous qu’il faut occuper les enfants? Pourquoi pensons-nous qu’il faut faire quelque chose pour eux? Nous n’avons pas besoin de nous préoccuper autant d’eux. Il n’y a RIEN A FAIRE si ce n’est de vivre avec eux !
Marjorie Bautista - enseignante à l'Education Nationale pendant 5 ans - cofondatrice de l'école Dynamique à Paris- cofondatrice du Village de Pourgues - Marjorie propose des formations immersives à Pourgues sur l”’éducation démocratique, une éducation à la liberté pour soi et son enfant.”
Dans l’article précédent (lien ici), j’ai parlé de l’intention pédagogique présente dans les comportements des adultes avec les enfants. Et une des conclusions était que l’adulte n’a pas besoin de jouer ce rôle de prof-évaluateur permanent avec l’enfant.
“Mais que fait-on alors !?” m’a dit un jour une maman. “Il faut bien les occuper !” m’a répondu une autre fois une mère.
Pourquoi pensons-nous qu’il faut les occuper? Pourquoi voulons-nous absolument “faire quelque chose pour eux”? Je pense que l’enfant n’a pas besoin de ses parents et des autres de cette manière-là. Je pense qu’il n’a pas besoin de propositions systématiques de la part des adultes; qu’il n’a pas besoin que les adultes lui créent un environnement artificiel pour son développement; qu’il n’a pas besoin que les adultes fassent semblant de jouer avec lui pour qu’il apprenne quelque chose. Le quotidien regorge d’occasions d’apprendre.
L’enfant observe et imite en permanence.
C’est à travers ces deux actions qu’il apprend tout ce dont il a besoin d’apprendre...
pour peu qu’il y ait des choses à observer et à imiter, l’espace et le temps pour ça!
Pour voir les enfants à l’oeuvre, ayons nos activités personnelles, intégrons-les dans notre quotidien, donnons-leur accès à la société et au vaste monde, soyons disponibles pour eux sans nous sacrifier pour autant, soyons authentiques, et laissons-les tranquilles. Nous verrons la magie s’opérer sans rien faire!
C’est ce que certaines personnes appellent
“l’art de ne rien faire”.
Cette expression définit bien selon moi le rôle de l’adulte dans l’éducation démocratique. Mais on voit bien qu’il est difficile de saisir de quoi il s’agit exactement : Ne rien faire !?… c’est à dire? De quoi parle-t-on au juste?
Voici quelques exemples de situations que je vis avec Zeÿa pour illustrer cette “art de ne rien faire”. Bien sûr, ce ne sont que des témoignages qui ouvrent à la discussion et qui peuvent être soumises à la critique et la remise en question. L’art de ne rien faire est si complexe, subtile et demande tellement de déconditionnement…
Situation 1 : le métro parisien
Dans le métro, je “n’occupe” pas Zeÿa et je ne vérifie pas ses acquis régulièrement en lui posant des questions. Je le laisse trouver ses propres jeux avec ce qu’il y a à disposition dans le wagon dans la limite du possible, c’est à dire en respectant à la fois les règles de sécurité propres au métro et mes règles de sécurité (que je questionne en permanence car fortement influencées par mon éducation et la société).
Zeÿa observe les passagers s’asseoir et commence à jouer avec les strapontins : il monte, descend et le font basculer des dizaines de fois. Il se cache derrière les sièges et joue avec les autres passagers qui sont heureux d’interagir avec lui. D’autres fois, il joue avec la fermeture éclaire de ma veste ou de mon sac à dos qu’il m’a vu maintes fois utiliser. Il descend et remonte cette fermeture plusieurs fois, et pousse des petits cris de joie quand il parvient à la remonter jusqu’en haut. D’autres fois encore, il se hisse jusqu’au plan de métro et pointe du doigt des stations comme il a pu l’observer le faire.
Tout ce qu’il y a naturellement autour de lui est source de jeu possible pour lui.
Moi, je n’interviens quasiment pas. Il ne souhaite pas jouer avec moi (sinon il me le manifesterait et il sait très bien le faire). Je respecte son choix. Je ne souhaite pas non plus jouer avec lui, je respecte mon choix aussi. Je préfère continuer la lecture de mon livre. Je suis juste vigilante (observation accrue et prête à intervenir) pendant l’ouverture des portes, au démarrage et à l’arrêt du métro. Je le porte quand il me le demande pour se hisser. Ni plus ni moins.
Je lui fais confiance et je sais qu’à travers tous ses jeux spontanés, il acquiert une multitude d’apprentissages. Je n’ai pas besoin de les lister et de le questionner pour savoir où il en est. Il est le seul à pouvoir savoir cela. Je n’ai pas besoin non plus de lui proposer des jeux, il regorge d’idées avec ce qu’il se présente à lui qui sont plus passionnantes que ce que j’aurais pu imaginer. Il ne dépend pas de moi pour jouer. Je suis juste une personne ressource si besoin.
De nombreux parents me demandent souvent s’ils doivent faire des propositions à leurs enfants pour éviter qu’ils ne s’ennuient ou pour s’assurer de la progression de leurs apprentissages (surtout lorsqu’ils font du unschooling).
Cela dépend. Cela dépend de leur intention et de la nature des propositions.
Je pense que toute proposition faite à un enfant (et à une personne en générale) devrait être authentique, c’est à dire animée d’une envie intrinsèque.
Toutes les propositions que je fais à Zeÿa sont des invitations à partager des activités que j’ai envie de faire pour moi-même, qu’il soit là ou pas. Ou des invitations à faire des activités que je sais qu’il apprécierait car ce sont ses centres d’intérêt du moment. Activités auxquelles il n’aurait pas accès sans moi du fait de son âge.
Voici d’autres situations pour illustrer des propositions authentiques.
Situation 2 : le parc
Parfois, dans l’après-midi, après avoir apporté ma contribution au collectif, j’ai envie de prendre l’air. Je propose à Zeÿa de venir avec moi au parc. S’il dit oui, nous y allons. S’il dit non, je le laisse avec un autre membre villageois et j’y vais sans lui. Pendant ce temps il sait très bien s’occuper sans moi avec les choses qu’il a à sa disposition : quelque jouets, certes, mais surtout son imagination débordante avec tout cet “espace-temps” qui lui est accordé. Lorsque je suis à Paris, j’insiste un peu car je ne peux pas encore le laisser seul à 20 mois. Et s’il ne le souhaite toujours pas, je réitère ma proposition un peu plus tard, ou je cherche activement quelqu’un pour être avec lui, ou je n’y vais pas. D’autres fois, c’est lui qui me manifeste son envie de sortir, et selon mon envie et ma disponibilité, j’accepte ou je trouve quelqu’un d’autre pour l’emmener. En tout cas à chaque fois, la sortie au parc née d’une réelle envie de ma part ou de sa part, et si nous y allons ensemble c’est qu’il y a une réelle envie de partager ce moment ensemble et non pas une espèce de “il faut”. Et parfois une petite négociation entre nous est de mise.
Une fois au parc, j’interviens très peu dans ses activités. Il monte les structures de jeux à sa guise. Je ne fais aucun commentaire du genre “doucement”, “fais attention, tu risquerais de tomber”, “tiens-toi à la barre”. Je pense que ces commentaires risquent davantage de le faire tomber que de le protéger. En m’entendant les dire, il se retournerait sûrement pour m’accorder de l’attention et ne serait plus focalisé sur lui-même. C’est justement dans ces conditions que la chute arriverait. Ces commentaires ne lui permettraient pas non plus d’appréhender pleinement toute la complexité de son escalade : ses appuis, son équilibre, ses prises, les autres enfants… toutes ses informations requièrent toute son attention. Toutefois, pour me rassurer lorsqu’il monte les structures des 8-10 ans, je reste derrière lui, prête à intervenir si besoin, tout en gardant une certaine distance et en étant relax car je sais à quel point le stress est contagieux. Et il ne serait pas juste que je le lui transmette.
Le plus souvent, lors de cette sortie, je lis, observe les autres enfants, regarde des vidéos Youtube ou discute au téléphone avec mes amis tout en prenant le soleil. Bref, je vis ma vie et lui la sienne. Je nous accorde du temps, de l’espace et de l’intimité.
Situation 3 : la musique
D’autres fois, j’ai envie de faire un peu de musique : je m’accorde un moment avec ma guitare pour jouer quelques mélodies et chanter. La plupart du temps je ne m’isole pas pour le faire car j’aime faire profiter les autres de ce moment et laisser les musiciens potentiels me rejoindre s’ils le souhaitent. Pratiquer ces centres d’intérêt et ces passions en place publique est source d’inspiration et de joie pour moi. Lorsque tout est caché, pratiqué dans son petit espace privé, je trouve que l’on y perd beaucoup.
Dans ce contexte d’ouverture, je laisse Zeÿa se joindre à moi s’il le souhaite, non pas parce que cela serait “bien pour lui qu’il fasse un peu de musique” mais simplement parce que j’aime la musique et que s’il souhaite partager ce moment-là avec moi il est le bienvenu.
Lorsqu’il est là, il m’observe, danse, chante, utilise les autres instruments qui sont à sa disposition ou tout autre mobilier/objet qu’il trouve pour participer à la musique. Et sa participation dure le temps qu’il le souhaite. Parfois il ne veut pas venir et c’est tout aussi bien. Je n’ai aucun avis à donner sur la pertinence de ses choix. C’est lui qui décide car il est le seul à savoir si ce moment musical a un intérêt pour lui ou pas. Je lui manifeste parfois ma grande envie qu’il vienne pour partager ce moment avec moi. Je lui manifeste cette envie une fois. S’il dit non, je respecte ce non et n’insiste pas davantage.
Dans ces moments de musique, il souhaite parfois prendre ma guitare. Je ne la lui donne pas systématiquement : je la garde si j’ai envie d’aller jusqu’au bout de mon objectif car j’ai le droit de lui dire non; sinon je la lui laisse en lui montrant comment l’utiliser, et parfois je la lui retire si j’estime qu’il en fait un mauvais usage. Je peux dans ce cas-là lui en trouver une autre adaptée à ses compétences.
A chaque fois, je recherche une écoute et un respect de mes envies et de ses besoins. Un équilibre subtil entre mon authenticité et sa singularité.
Situation 4 : Les chevaux
Pendant un long séjour à Paris, j’ai eu envie d’aller me ressourcer à la mer à Deauville. Pas de programme particulier si ce n’est “fare niente” pour toute la famille. En fin d’après-midi, nous avons eu un magnifique cadeau inattendu : un troupeau de chevaux avec leurs cavaliers ! Ils ont passé près de deux heures à se promener et à se baigner devant nous. Zeÿa était émerveillé. Il a insisté pour rester jusqu’au bout. Et depuis, il manifeste régulièrement son envie de voir des chevaux. Nous répondons à ses envies tout en écoutant les nôtres: nous organisons régulièrement des sorties autour des chevaux avec lui. Parfois, nous proposons à d’autres personnes enthousiastes de l’y emmener car nous n’avons pas ce même élan pour les chevaux et pas envie de feindre la joie. Il le sentirait et la journée serait moins joyeuse pour tout le monde. D’autres fois, nous lui proposons des alternatives aux sorties : vidéos, dessins animés, jouets de chevaux ou toutes autres choses sorties de notre imagination. Et parfois, juste “du rien”, car nous ne sommes pas disponibles. Et de ce rien, d’autres choses émergent, comme lors de cette après-midi “fare niente” à Deauville où l’épopée “cheval” a commencé !
L’art de ne rien faire est une recherche continue d’équilibre entre ses propres besoins, envies, centres d’intérêt, et ceux de son enfant.
C’est un processus dynamique d’observation et d’écoute de soi, de son enfant et des autres.
Nous vivons avec les enfants et non pour les enfants.
Notre rôle est de leur donner accès à un contexte favorable.
Quel est ce contexte ?
C’est ce que nous verrons au prochain numéro!
La balance entre individu et collectif
La question de l'équilibre entre individu et collectif est à la fois cruciale et peu explorée. Omniprésente et subtile. Universelle et intime. A la lumière d'une conscience curieuse, elle devient surtout passionnante !
Elfi Reboulleau - cofondatrice du Village de Pourgues, autrice de contes philosophiques, du livre L'enfantement conscient et de “Qu’est-ce que l’âgisme” (à paraître en 2019). Elle est également musicienne, et partage des textes et son actualité sur son site.
Elle propose des immersions à Pourgues pour les personnes intéressées par l'éducation démocratique.
La question de l'équilibre entre individu et collectif est à la fois cruciale et peu explorée. Omniprésente et subtile. Universelle et intime. A la lumière d'une conscience curieuse, elle devient surtout passionnante !
A partir du moment où nous sommes plus d'un, nous formons un collectif.
Déjà à deux, il y a deux singularités en jeu, plus une entité couple. Avec des besoins pour le bien-être de chaque personne, plus des besoins pour le bon maintien de cette structure collective. Et cela vaut pour une famille, une communauté, une entreprise, un état, et même l'humanité entière ! Pour illustrer ces différents enjeux qui s'emboîtent, imagineons une famille nucléaire composée de Robert, Nadine et leur fils Sebastien.
Ils envisagent sérieusement de déménager. Nadine a très envie d'une maison individuelle, avec des voisins le plus loin possibe. Robert s'en fiche, ce qu'il veut, lui, c'est être au bord de la mer. Et la chose la plus importante pour Sebastien c'est d'avoir une chambre à lui, qu'il peut fermer à clé. L'important pour que la structure « famille nucléaire » se maintienne comme avant, est qu'il vivent tous les trois dans le même logement, dont le prix correspondra à leurs moyen. Dans l'idéal, ils trouvent une maison individuelle avec plusieurs chambres en bord de mer et pas trop chère. Mais il est fort possible que tous ces paramètres ne soient pas réunis. Va s'engager alors une forme de négociation entre les besoins de chacun et ceux de l'entité « famille ». Peut-être que pour maintenir cette entité, Nadine va finalement être d'accord avec le fait d'avoir des voisins, ou Robert de s'éloigner de la côte. Et peut-être pas, et ils envisageront d'avoir deux logements différents.
Cette danse entre les besoins du groupe et ceux des individus qui le composent passe encore souvent par le sacrifice inconscient de l'un ou des autres. Quelles sont les forces en jeu, peut-on imaginer une danse où qui ne lèserait ni le collectif, ni la personne ?
Ici à Pourgues, où la liberté individuelle est seule souveraine, chacun est libre de ses actes. Est-ce que cela signifie qu'il n'existe pas de sacrifice de l'individu pour le groupe, ni du groupe pour l'individu ? Non. Car tout ceci se passe en dessous du seuil de conscience. Ce qui est réjouissant, c'est d'observer que cet environnement permet largement d'avancer sur cette question.
Certaines personnes de part leur « éducation », leur rapport au monde, se sentent parfois obligées d'agir, même si cela leur coûte, qu'elles n'en ont profondément pas envie où qu'elles trouvent injuste de le faire. Prenons un exemple concret, celui du ménage. Une insuffisance apparaît. Une personne qui aura tendance à se sacrifier pour le bien-être du groupe pourra se dire : « Si personne ne fait le ménage, la maison est sale et en désordre et cela donne une mauvaise image, cela met en péril le collectif et le projet. Donc je vais me forcer à le faire parce-que c'est important. » Cela pourra être associé à des croyances du type : « Si je ne le fais pas, personne ne le fera car les autres n'ont pas le sens des responsabilités. Je dois porter cette charge même si j'aimerai qu'il en soit autrement. »
Cette personne aura pu prendre l'habitude, depuis l'enfance, de se sacrifier pour le bien du collectif. Elle pourra entretenir des croyances sur les autres qui justifient ce sacrifice. Et c'est là que l’altérité est une infinie richesse, vivre à nombreux permet de côtoyer des fonctionnements différents du sien, des réalités innattendues, qui viennent bouleverser ces croyances.
Si une telle personne prend conscience de ce mécanisme et décide de ne plus l'entretenir, soit de ne pas se forcer à faire le ménage, que se passera-t-il ? Il est probable que d'autres personnes prendront la main. Les croyances en amont du comportement sacrificielles ne tiennent plus. Cela ne veut pas dire que la personne à terme fera moins le ménage, mais qu'elle ne se forcera plus à le faire. Sa motivation de fond pourra être : « Tiens, il y a besoin et j'ai du temps, je le fais car cela me réjouis de contribuer au bon fonctionnement du collectif ».
L'inverse de l'exemple précédent existe aussi. Prenons le cas d'une personne qui a l'habitude de ne pas prendre en compte les besoins du collectif duquel elle fait partie. Face au constat d'un manque de ménage, elle pourra se dire : « Moi, je n'en ai pas envie. J'ai mieux à faire, je ne me sens pas d'humeur. » Et surtout : « D'autres le feront, de toute façon. ». Or, si tout le monde se dit ça, comment avancer ? La première personne se croyait indispensable au bon fonctionnement du collectif, et cette dernière croit pouvoir se dispenser d'agir pour lui. L'une croit devoir porter l'ensemble, l'autre croit pouvoir être portée par cet ensemble. Ni l'un ni l'autre ne sont viables, si l'on souhaite approcher de cette danse non sacrificielle.
Et pourtant, si nous avons des tendances plus ou moins marquées de par nos vécus respectifs, beaucoup d'entre-nous vivent encore ces deux types de biais, à des moments et à des degrés différents.
Nous construisons autre chose peu à peu, avec des briques nouvelles.
J'ai observé parfois d'autres tendances au sacrifice de l'individu, qui ne se sont pas installées tant notre culture de respect et de responsabilité est forte, mais qui restent instructifs.
Par exemple, au début nous avons utilisé l'unanimité pour un vote, au sujet de la décision impactante de l’accueil d'un nouveau membre. La situation était délicate car nous avions décidé de ne plus agrandir le groupe, mais qu'il s'agissait là du père de deux jeunes membres de 5 et 9 ans, et qu'il avait par ailleurs des compétences intéressantes à apporter au projet. L'ensemble du groupe était en accord sauf un individu. Eh bien quelle pression implicite a-t-il ressenti pour voter pour alors que, malgré tous les arguments avancés, son avis était opposé à cette décision ! En levant la main pour dire « oui » là où il pensait « non », il a pu avoir le sentiment de se sacrifier. Son témoignage par la suite nous a fait changer de procédure et abandonner tout vote à l'unanimité.
Autre petit exemple, lors de la préparation d'un événement, je me souviens que l'ensemble des participants étaient invités à se réunir pour faire un point et à faire des petits jeux pour stimuler la cohésion et la motivation. Certains membres étaient dans leur élément et ravi de ces propositions. J'observais que d'autres s'y contraignaient pour « faire partie du groupe », pour « ne pas casser la dynamique lancée par les organisateurs », pour « ne pas paraître rabas-joie ou être moins aimé ». J'ai encore en mémoire le visage d'une jeune-fille qui venait vraisemblablement de se lever et à qui la proposition dynamique de faire la danse de la victoire et de pousser de grands cris de motivation communs avait l'air de rebuter à ce moment là. Je regardais avec attention comment, en forçant comme elle pouvait un sourire et encouragée par ses camarades, elle le fit quand même. Il se trouve que, comme elle, je n'avais pas envie de ces pratiques à ce moment là. J'avais choisi de ne pas participer, et personne ne m'en a tenu rigueur. Nous avons eu ensuite une belle discussion à ce sujet, c'est aussi ce que permet la richesse des situations vécues ici.
En exemple inverse, celui d'un sacrifice du groupe pour l'individu, je pourrais citer les cas où un besoin, une sensibilité individuelle est érigée en règle alors même que cela impacte la vie du groupe et que la plupart des membres ne partage pas cette sensibilité. Imaginons par exemple une personne végan qui exigerait que la cuisine commune soit sans viande, en disant que sinon elle ne pourrait pas l'utiliser. Ce ne serait pas forcément viable, car cela obligerait l'ensemble du groupe à se contraindre à ce choix qui est, à la base, personnel. Du coup ce serait les personnes qui souhaitent manger des animaux qui seraient contraints de manger ailleurs, et si une autre personne vient à réclamer vivement une vaisselle casher par exemple, on voit bien à quel point imposer les particularismes devient compliqué.
Est-ce que cela signifie que nous devons renoncer à nos particularités et viser l'uniformité ? Non, sinon nous rebasculons dans du sacrifice. Cela signifie que nous pouvons nous responsabiliser de nos choix individuels en aménageant des solutions qui respectent nos préférences personnelles sans les imposer à d'autres.
Un autre exemple serait d'agir selon une envie personnelle en ne tenant pas compte des besoins du collectif en tant qu'entité. Par exemple concrètement ici au village, nous n'avons pas le droit pour le moment de construire. Nous avons fait une demande de permis d'aménager qui ne nous sera accordé que plus tard, selon des conditions que nous ne connaissons pas encore avec précision. Nous nous sommes engagés en tant que groupe à ne rien construire tant que nous n'aurons pas d'autorisation. Sans cet engagement ferme, notre lien avec l'administration était tendu, et nous construisons peu à peu un lien de confiance mutuelle. Imaginons que demain un villageois ait trop envie d'avancer sur un projet précis, et décide de son propre chef de construire une cabane sur le terrain. Cela viendrait nourrir un besoin chez lui, mais mettrait clairement l'ensemble du projet en péril. Ce serait sacrifier le groupe pour l'individu.
Là aussi, une autre voie serait à imaginer, qui prenne en compte le besoin de l'individu sans mettre le projet en péril.
Les pas de cette nouvelle danse, respectueuse de chaque élément ainsi que de l'ensemble, nous les apprenons en les posant. En se marchant accidentellement sur les pieds, en glissant, en se trompant parfois... et puis tout à coup en tournoyant, en se laissant inspirer, en touchant du doigt une certaine fluidité. Une exploration continue !
Conférence de présentation du Village de Pourgues au festival des Oasis Colibris
Conférence, présentation du Village de Pourgues au festival des Oasis Colibris, Jamville 2018
Jérôme Thierry - Passionné depuis des années de permaculture et d’intelligence collective, il a co-fondé l'association Céret-en-transition et organisé deux Permacamp. Après avoir travaillé dans les énergies renouvelables, il a participé à la création d’une école démocratique et s'est plus récemment enthousiasmé pour la monnaie libre.
Jérôme propose des formations immersives à Pourgues autour de la Permaculture et de la gouvernance démocratique.
Conférence donnée par Jérôme lors du
Festival des Oasis Colibris au château de Jambville
le 13 octobre 2018
Découvrez ce qui définit notre aventure, quelques exemples concrets et les fondamentaux qui construise cette nouvelle manière de vivre ensemble.
Une exploration unique, radicale et passionnante!
Retrouvez la publication de rétrospective rédiger sur le site des Colibris :
https://www.colibris-lemouvement.org/magazine/festival-oasis-2018-reponse-est-lamour-quelle-est-question
Quand MON argent devient DE l'argent
Bienvenue dans le paradigme de la transparence et de la démocratie financière.
Pour vivre en démocratie, c'est important de savoir où est le pouvoir et ce qu'on en fait, pour que les citoyens puissent critiquer et questionner l'exercice du pouvoir. Pour ma part, publier l'information sur la richesse que je détiens et ce que j'en fais est un acte politique que j'aimerais voir se répandre.
Bienvenue dans le paradigme de la transparence et de la démocratie financière.
Ramïn Farhangi - cofondateur de l'école dynamique et du Village de Pourgues. Auteur du TEDx et du livre "pourquoi j'ai créé une école où les enfants font ce qu'ils veulent" (à paraître chez Actes Sud en septembre 2018). Ramïn propose une formation pour les porteurs de projets d'écoles et de villages d'inspiration Sudbury.
Un village qui réussit le pari de la confiance en chacun
Le Village de Pourgues est une expérimentation sociale où nous faisons le pari de la confiance en l'individu. Nous partons du principe simplissime que chacun est libre de faire ce qu'il veut quand il veut. Chacun agit de par le sens qu'il donne lui-même à son action, et non une direction qui lui serait imposée par des forces qui lui échappent. Plus de crèche, plus d'école, plus de travail, plus de 35h, plus de contrat de location, plus de supermarché, plus de vacances, plus de retraite… Bref, on casse tout ces codes et on recommence.
Le résultat semble autant relever du miracle que du bon sens : nous sommes vivants. Il semblerait que lorsqu'on fait confiance en l'individu, celui-ci est digne de cette confiance. L'activité économique montre des débuts prometteurs pour nous sortir de la dépendance financière. Le ménage est fait, le potager est jardiné, les arbres sont plantés, les habitats sont construits, les articles sont écrits, les enfants mûrissent… Les choses vont globalement bien.
Confiance en l'individu… même pour la contribution financière ?!
Nous avons une manière inhabituelle d'assurer notre santé financière. Nous vivons quelque part à mi-chemin entre le chacun-pour-soi et la mutualisation totale. Nous avons opté pour la mutualisation volontaire, selon ce que chacun est prêt à mettre dans le pot commun. Plutôt que de demander à chacun d'apporter un montant lié à la taille de sa chambre et ce qu'il consomme, chacun contribue autant qu'il veut, que ce soit pour l'apport initial ou mensuel. Les habitants étant tous au fait des besoins financiers du village, chacun est conscient de sa part de responsabilité et va faire de son mieux pour garantir la continuité et la prospérité de son propre lieu de vie.
Jusqu'au-boutistes que nous sommes dans cette logique, nous avons réuni l'équipe de départ sans même demander à chacun ce qu'il serait prêt à apporter. Avec un peu de négociation et beaucoup de chance, nous avons réussi à réunir les 1 030 000 € dont nous avions besoin pour acquérir le lieu vers fin 2016. Pile poil !
Parmi les 22 habitants, 8 n'avaient pas les moyens de contribuer à l'apport initial. 14 personnes ont donc amené 630 000€ ventilés ainsi : j'ai apporté 470 000€ (75% de l'apport), une personne a apporté 40 000€, deux autres 20 000€, et les 10 autres 5 000€ ou 10 000€.
Pour les 400 000€ restants, nous les avons empruntés, dont 300 000€ au vendeur du lieu (à rembourser sur 15 ans), et 100 000€ à 2 personnes de notre entourage (à rembourser d'ici 2022).
Pour ce qui est de la contribution mensuelle, j'apporte 1800€ par mois, une autre personne apporte 1200€, 16 habitants apportent entre 200€ et 500€ chacun, et 4 personnes n'ont pas les moyens de contribuer. Ce pot commun d'environ 9 000€ mensuels nous permet de payer le remboursement du prêt, nos charges d'habitation, notre alimentation, l'achat et l'entretien de nos équipements… bref, les dépenses de base pour une grande famille de 22 adultes et 9 enfants (c'est-à-dire 290€ par personne, pour ceux d'entre vous qui auraient réagi de manière épidermique : "9 000€ ! C'est énorme !").
La transparence financière et la mutualisation volontaire, c'est politique.
Peut-être avez-vous été surpris, voire choqués en voyant que je parle ainsi de notre argent, et surtout de mon argent. Lorsqu'on se place depuis le paradigme établi, c'est tout à fait normal. Mes parents sont d'ailleurs les premiers à être attristés et choqués de mon hyper-transparence financière, et c'est à l'encontre de leurs remarques et demandes insistantes que je partage pourtant publiquement ces informations habituellement privées.
Aujourd'hui, c'est indécent de parler d'argent, surtout lorsqu'on en a plus que la moyenne. On se méfie du riche et on ressent un vif sentiment d'injustice par rapport au fait qu'une minorité de nantis vit dans l'abondance financière alors que des millions de personnes n'ont accès qu'au minimum vital. Une des nombreuses contributions à la construction de cette culture est le manifeste du parti communiste de 1847 dont voici deux extraits :
"L'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire de luttes de classes."
"La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les activités qui passaient jusque-là pour vénérables et qu'on considérait avec un saint respect. Le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, le savant, elle en a fait des salariés à ses gages.
La bourgeoisie a déchiré le voile de sentimentalité qui recouvrait les relations de famille et les a réduites à n'être que de simples rapports d'argent.
La bourgeoisie a révélé comment la brutale manifestation de la force au moyen âge, si admirée de la réaction, trouva son complément naturel dans la paresse la plus crasse."
Au moins depuis Marx, l'idée selon laquelle les pauvres, les moyens et les riches vivent un permanent rapport de force est monnaie courante. La possession de richesse financière est illégitime et immorale, et la seule issue possible serait une révolte du peuple. C'est donc perçu comme indécent voire même dangereux de divulguer ce qu'on a. Le riche est le bouc émissaire sur lequel on peut jeter la responsabilité de nos maux, et des propositions de les déposséder sont d'ailleurs proférées tous les cinq ans par des candidats à la présidentielle, étonnamment sans que cela soit perçu comme illégitime ou violent.
C'est bien dommage qu'on en soit arrivé là, au point que l'argent soit devenu si tabou que presque personne n'ose en parler. Pourtant, l'argent que chacun détient est une information suffisamment impactante sur la société pour qu'elle soit rendue plus disponible. L'argent est un pouvoir de donner vie à des projets. Et pour vivre en démocratie, c'est important de savoir où est le pouvoir et ce qu'on en fait, pour que les citoyens puissent critiquer et questionner l'exercice du pouvoir. Pour ma part, publier l'information sur la richesse que je détiens et ce que j'en fais est un acte politique que j'aimerais voir se répandre. Ceci étant dit, le droit à une vie privée reste un fondamental, et je ne vais évidemment pas jusqu'à proposer que cela soit obligatoire d'être transparent.
Cette transparence surprenante commence déjà à porter ses fruits. Lors de la dernière formation que j'ai proposée en octobre, j'ai reçu 13 participants. Deux personnes m'ont dit avoir été particulièrement inspirées par cet acte. L'un d'entre eux est venu me voir en privé pour en discuter davantage. Héritier d'une fortune importante, il se retrouve avec la pesante responsabilité de devoir en faire bon usage.
Vivant avec la même préoccupation, je lui ai partagé mon état d'esprit, celui d'avoir transformé MON argent en DE l'argent. Cela ne veut pas forcément dire qu'il cesse d'être légalement marqué à mon nom. Plutôt que de le voir comme "à moi, moi, moi", je me vois plutôt détenir un pouvoir de décision sur CET argent qui n'appartient réellement à personne. Chaque euro dépensé, chaque euro placé revêt un sens, une dimension politique plus vaste que celui d'assouvir mes lubies et petits plaisirs.
Plutôt que d'opter pour une dépossession pure et simple, je vis plutôt un changement de posture vis-à-vis de cet argent. Est-ce que mon objectif est qu'il grandisse et soit transmis à la prochaine génération de la dynastie Farhangi ? Est-ce que le placement immobilier en grande ville et le placement financier dans un fonds d'assurance vie en "bon père de famille" est ce qu'il y a de mieux à faire ? Je ne pense pas. Placer son argent ainsi, c'est faire preuve d'aucune innovation et donc contribuer à perpétuer le cours actuel des choses. C'est abdiquer l'intégralité de son pouvoir de création à la logique capitaliste aveugle qui perdure et qui nous mène collectivement vers l'effondrement d'un système à bout de souffle.
Dépenser et placer son argent en conscience, c'est contribuer à une souhaitable transition économique et écologique (désolé pour ceux qui voient ça comme de la langue de bois récupérée à tort et à travers, mais je n'ai pas trouvé de meilleur terme pour nommer ce que j'essaie d'expérimenter et d'incarner concrètement au quotidien). Déplacer du capital de "appartement parisien" ou "fonds d'investissement" vers "éco-lieu pionnier" ou autre "projet local/écologique/éthique" est une manière de transformer le monde.
Une de mes sources d'inspiration a été Mohammad Yunus, fondateur de la Grameen Bank au Bangladesh, premier institut de micro-crédit, auteur de "Vers un nouveau capitalisme". Je recommande vivement ce livre à tous ceux qui ont le pouvoir d'investir. Yunus propose d'arrêter de chercher aveuglément la maximisation du profit, et plutôt aller vers la maximisation de l'impact social et écologique. Pour engendrer un impact social maximal, il propose de viser un rendement financier de 0%. C'est ainsi que la croissance sera réellement entre les mains de ceux qui font et qu'elle cessera d'être accaparée par une minorité de nantis.
Vers une société plus altruiste
La vision plus globale que je nourris par cet acte est une transition vers une société où le don, l'altruisme, la philanthropie seront l'évidence même pour vivre et fonctionner ensemble. Et pour être cohérent avec cet idéal, je plaide aussi pour que cette transition se fasse sans violence. Cela exclut toute forme d'impôt car le fait de prendre aux "riches" et aux "moyens" sans leur consentement est loin d'être altruiste en soi. Puriste que je suis du non-sacrifice de soi, je trouve cela contradictoire de parler de liberté et de démocratie au sein d'un espace où on ne sait pas procéder autrement que par le vol pour que la société tienne debout.
Je suis convaincu qu'un système de contribution volontaire pourrait remplacer le système d'imposition à plus grande échelle. Pour effectuer une telle transition, cela nécessite de faire un gigantesque saut de paradigme en prenant conscience du fait qu'on peut faire confiance à 95% des gens et absorber aisément les 5% de "profiteurs". En tous cas, c'est ce qu'on essaie pour l'instant à petite échelle, et ça marche.
Aujourd'hui encore, il paraît impensable que des riches, des moyens et des pauvres puissent volontairement coopérer, vu qu'ils seraient voués à se battre les uns contre les autres (cf Marx). Avec le Village de Pourgues, j'espère avoir co-créé un lieu qui ne s'inscrit ni dans la tradition capitaliste où chacun cherche à maximiser ses revenus quels que soient les dommages causés, ni dans la tradition Marxiste qui consiste à alimenter la révolution du prolétariat par le rapport de force. Notre village est fondé sur un paradigme d'écologie financière et humaine en rupture avec ce que nous avons l'habitude de voir. Par sa pratique de mutualisation transparente, sans violence et sans rapport de force, le Village de Pourgues est un des nombreux exemples locaux qui propose une réponse aux deux problèmes globaux du siècle :
Un mode de vie écologique qui cesse de puiser les ressources de la planète au-delà de ce qu'elle peut régénérer.
Une mutualisation des richesses par la contribution volontaire (et non imposée) au pot commun.
Je finirai sur cette citation de Henry David Thoreau (Résistance au gouvernement civil, 1849) :
"La meilleure chose qu'un homme puisse faire pour sa culture, lorsqu'il est devenu riche, c'est d'essayer de réaliser les idéaux qu'il entretenait lorsqu'il était pauvre."
Pépites du forum ouvert du 17-18 novembre
Résumé d’une partie de ce qui s’est discuté lors du forum ouvert du 17-18 novembre à Pourgues.
Le week-end du 17-18 novembre a réuni une cinquantaine de personnes au Village de Pourgues autour du thème “ces écoles où les enfants font ce qu’ils veulent”.
Changer de Paradigme
Un paradigme est une représentation du monde incarnée par un ensemble cohérent de postures, comportements et agissements. Le paradigme des écoles démocratiques est tellement éloigné du paradigme établi qu'il est habituellement inaccessible, même par la pensée.
Conditions du changement
Frustration profonde avec le paradigme établi
Etudier l'Histoire de l'école conventionnelle pour s'en libérer
Questionner les finalités de base de l'éducation et de l'école
Accéder aux témoignages de personnes ayant grandi hors du cadre établi
Faire le deuil de son enfance "perdue"
Vivre des expériences satisfaisantes avec le nouveau paradigme
Principaux obstacles observés pour faire le pari de la totale confiance en l'enfant
Difficulté de visualiser le fonctionnement et le quotidien d'une école démocratique
Risque perçu de chômage et marginalisation des jeunes
Manque de connaissance de la liberté éducative et croyance aveugle en "l'école obligatoire"
Syndrome de Stockolm
Post-rationalisation pseudo-scientifique de l'absolue nécessité d'une scolarité
Croyance en l'absolue nécessité de contrôler la consommation des enfants (écrans, sucre, etc.)
Croyance en l'absolue nécessité de contrôler l'activité des enfants (cours, ateliers dirigés, sport, instrument de musique, etc.)
La Spirale Dynamique est un modèle pour représenter 9 niveaux de réalités, correspondant aux paradigmes sur lesquels des individus ou organisations se basent dans divers domaines de la vie (travail, éducation, santé, relations…). Pour en savoir plus : http://www.spiraledynamique.com/Theorie/
Création
Au départ, constituer un noyau de personne avec des valeurs, des intentions communes et clairs. Ne pas réinventer la poudre, s’appuyer sur des modèles existants peut aider à clarifier le projet pour tout le monde, et permet de gagner un temps fou.
Choisir son mode de gouvernance (partagée, collégiale...)
Dans les premières années d'existence de l’école démocratique, ne pas avoir peur d’exclure les enfants ou les adultes pouvant mettre en péril le règlement, la vision et la mission du groupe de l’école. Ceci, dans le but de garantir la sécurité et la pérennité du projet
Sur le plan matériel, il a été dit par plusieurs participants, que si le projet était à refaire, ils partiraient d’une école vide pour que tous les acteurs du projet (enfants comme adultes) puissent la meubler en fonction de leurs besoins. Souvent, les écoles représentées ont reçu de la part des parents et des sympathisants soit trop de dons (livres, meubles et autres), soit des dons inappropriés ou qui ne ciblaient pas les besoins de l’école au moment présent.
Partir de locaux vides permet d’aérer l’espace et de se limiter aux besoins principaux :
Fonctionnement
Chaque école démocratique a ses propres règles de fonctionnement. Celles énoncées ci-dessous sont prises à titre d’exemple pour donner un exemple de mode de fonctionnement. Les exemples qui suivent sont tirés de l’École Dynamique à Paris.
Conseil d’école :
Conseil qui a lieu une fois par semaine (environ 1h30 à 2h tous les jeudis matin).
Il est constitué d’un responsable qui garantit le respect du règlement et du cadre démocratique, d’un secrétaire, garant de l’ordre du jour, et de toutes personnes faisant partie de l’école et qui souhaite y participer. Le responsable et le secrétaire assument ce rôle pour un semestre. Si l’un d’eux est absent, il doit se faire remplacer et être élu par la majorité.
Le conseil de l’École commence par les informations générales qui doivent être partagées. Viennent ensuite les élections puis le rapport du Comité d’enquête et d’arbitrage (Comité de justice), puis les rapports des différentes commissions qui doivent être validés. Vient ensuite le temps d’énoncer toutes les propositions qui concernent le vivre ensemble (l’harmonie, le juste, etc). Elles nécessitent deux lectures à deux conseils d’intervalle. Et à la fin, si le temps le permet, vient un temps de discussion plus large qui n’appelle pas au vote.
Comité d’enquête et d’arbitrage (Comité de justice) :
Il est là pour assurer le cadre, le règlement. C’est un comité qui se réunit tous les jours. Il est composé de 3 responsables dont, généralement, au moins un adulte. Ces personnes sont élues pour une période scolaire, soit environ 6 semaines. Le CEA se réunit lorsqu’une personne vit une injustice et ne peut la résoudre seule. Celle-ci remplit alors la feuille d’appel créé à cet effet afin d’être entendue devant le comité. Celui-ci appelle les personnes témoins qui donnent chacune leur version. Le comité vote. S’il n’est pas possible pour celui-ci de trancher, un cercle restauratif ou une médiation peuvent avoir lieu. Dans un deuxième temps, le comité assure le respect du règlement.
Ce comité doit être neutre et ne doit ni culpabiliser, ni juger un comportement. Il est en revanche garant du bon fonctionnement du règlement et veille à la protection du collectif et de ses membres.
L’objectif du CE et du CEA est d’établir une certaine culture de la liberté étendue à tous les âges, appliquant les mêmes limites aux enfants et aux adultes. Considérer un enfant comme pleinement responsable implique qu’il lui est permis de faire sa propre expérience, notamment avec la consommation de produits dangereux comme le sucre et les écrans, ce qui a tendance à dérouter beaucoup de personnes (y compris dans le milieu des écoles démocratiques) qui plaident pour une plus grande prudence et une protection de ces êtres en plein développement, ce qui nécessiterait d’imposer des limites pour des raisons sanitaires. C’est un sujet controversé qui ne connaît pas de solution unique.
Vie quotidienne
Faire évoluer nos habitudes face à des “erreurs”, des “difficultés” qui aujourd’hui amènent un sentiment négatif, une baisse de motivation vers une considération de ces moments comme des opportunités d’évolution. Passer de la difficulté au Challenge, sur un plan personnel, inter-personnel, au niveau de nos organisations et au niveau sociétal.
Une semaine type à l’École Démocratique (ED) :
Difficile de répondre à cette question car c’est très varié. Dans les écoles démocratiques, chacun est libre de vivre sa vie en répondant aux règles susceptibles d’évoluer tous les jeudis lors du conseil de l’école. A partir de là tout est possible.
Les facilitateurs de l’école doivent travailler avec les inspecteurs et les membres de l’école. Ils sont garant du cadre et jouent un rôle de communicant essentiel pour le bon fonctionnement de l’ensemble
Il y a aussi des périodes chaotiques dans les ED. Ces périodes ont l’air nécessaire pour requestionner le cadre et le faire évoluer en fonction des situations rencontrées. Ces périodes demandent un certain lâcher prise .Ces périodes bien que désagréables sont souvent les plus bénéfiques puisqu’elles permettent de modifier et d’améliorer le cadre.
Il y a des RDV réguliers comme la « météo du jour », et certains ateliers comme l’atelier cuisine ou encore l’atelier d’anglais. Ces ateliers apparaissent au fil du temps et au gré des envies et besoins de chacun.
Chaque école est différente. A chaque fois, c’est comme une alchimie qui se dessine. Les couleurs véhiculées par chaque écoles sont différentes et présentent un reflet de la diversité de groupes.
Press Start : Ma vie et les échecs
Nous évoluons tous différemment dans la vie. Mais si cette dernière était un jeu? Quelle jeu serait-elle? Peut-on en sortir? Découvrez le parcours de Yohan à travers les échecs et à travers sa vision de la vie forgée ces 32 dernières années.
Yohan Sancerni - Cofondateur de l’École Dynamique et de l’écoVillage de Pourgues. Yohan est un entrepreneur, autodidacte, un explorateur des possibles. Passionné d’un rien et curieux d’un tout, d’une frontière à l’autre, il s’est forgé dans la rencontre de l’autre et à la recherche de sa propre rencontre avec lui-même.
J'ai rencontré les échecs assez tôt. Et globalement, j’ai grandi en étant accro qu’à des jeux hyper compétitifs. Mon monde, la société dans laquelle j’ai grandi se sont forgés à travers un esprit de compétition. Je n’y ai pas échappé et ai surtout appris quelques leçons de vie essentielles.
Dès l'âge de 9 ans, j'ai joué aux échecs régulièrement. Contre mon père, à l'école, en ligne, avec des amis. J’ai ensuite joué à des jeux vidéos en lignes compétitifs à mon adolescence, jusqu’à mes 24 ans. Ils m'ont appris la patience, la persévérance, l’initiative, l’observation, la concentration, l'esprit critique, le travail d’équipe, le leadership - des compétences essentielles pour faire face à la vie.
Les échecs m'ont amené à adopter un principe de causalité très rapidement.
Déplacez votre chevalier ici : vous allez piéger son roi. Capturez ce pion : vous allez affaiblir son côté droit. Chaque mouvement correct nous rapproche d'une victoire; chaque faux pas nous rapproche d’une défaite.
Les échecs ont également introduit en moi une certaine idée de «l'autre». Moi contre l’autre, noir contre blanc, notre classe contre la leur, notre école contre la leur, notre groupe contre le leur. Une conception de l’autre subtilement banalisée dans nos fonctionnements.
J'ai joué aux échecs avec sérieux jusqu'à l'âge de 15 ans, avec cette même mentalité. Et autres jeux compétitifs 10 ans de plus. J’étais clairement bon, j’avais une reconnaissance réelle de mes compétences et de mes performances, un classement gratifiant (top 3-5 en France), donc je m’étais fait à l’idée que j’aimais ces jeux! On aime forcément ce dans quoi on est bon non? :) J’aime ce jeu parce que je suis bon et je joue pour ressentir cette reconnaissance plaisante que j’obtiens surtout si je gagne et que j’ai un public! Je me mettais sous pression, facilement stressé et/ou angoissé! Schéma que je retrouvais parallèlement dans tous les aspects de ma vie : à l’école, avec mes parents, avec mes amis, en entreprise, en couple. Et tous les moyens sont bons pour décompresser (alcool, fumette, bruit, agitation, jamais seul ou sans rien à faire ou à planifier…).
Vers 15 ans, j'ai eu mon premier téléphone portable. Ce petit Nokia 3310 en noir et blanc avec des touches en relief. Je l'avais partout avec moi et en main comme symbole de mon indépendance. J'ai découvert qu'il pouvait tuer l'ennui avec son seul jeu :
Snake
Snake était mon parfait passe temps et c’était aussi un bon prétexte pour ne pas me retrouver littéralement seul avec moi-même.
Et à quoi bon la compétition avec soi même? Pas de récompense visible, pas de classement, personne à rendre envieux...
Snake, pour certains est une frustration incarnée! C'est répétitif! Il est impossible de gagner! C'est que de la chance! Mais pour moi, petit à petit, sans le savoir à ce moment, c'est devenu la représentation la plus fidèle de la vie qui soit.
Dans la vie, votre seul adversaire ou ennemi, c’est vous-même.
J'ai grandi à la recherche d'opposants: des gens à combattre, avec qui me comparer, des gens à blâmer, à pointer du doigt, à convaincre que j’avais raison, de qui me moquer, des gens à stigmatiser, à rejeter... J'imaginais des ennemis quand il n'y en avait pas, parce que se battre était facile surtout quand l’autre ne te vois pas arriver!
Attaquer en premier pour éviter de se faire surprendre, pour dominer, conquérir plus de terrain, contrôler, protéger ses acquis et ne pas être blessé : c’était le seul mode opératoire que je connaissais et qui était socialement la norme. Des actions qui étaient aussi largement alimentées par la peur de perdre une place dans le classement social, de perdre ses “avantages”, peur de se retrouver seul ou rejeté.
C'est la mentalité du joueur d’échecs que j’étais. Et ça me suivait partout.
Dans Snake, vous ne jouez que contre vous-même. L’attention est focalisée sur soi - vous vous mettez au défi de manipuler correctement votre corps dans l’espace face à un flux d'objectifs aléatoires. Il n'y a pas de boss final. Aucun blâme à attribuer. Les vrais compétences qui permettent de continuer le jeu, c’est la maîtrise et la connaissance de soi face à l’inconnu, sa capacité à garder son sang froid, rester soi-même et précis dans ses gestes sans céder à la panique émotionnelle, peu importe le résultat.
Le vrai jeu de la vie est intérieur.
Il n'y a pas de gros ennemis impossibles à battre qui existent pour vous faire souffrir. Personne qui joue le rôle du grand méchant ou du sauveur. Il n'y a pas de bon ou de mauvais coup absolu qu'un certain adversaire puisse asséner. Ce ne sont que des fictions que notre esprit invente par manque de connaissance et confiance en soi pour se faciliter la vie, s’éviter l'échec, s’éviter de se responsabiliser, s’éviter de dépenser trop d'énergie à tout remettre en cause, se satisfaire d’une petite tape amicale sur la joue puis continuer à se leurrer et se limiter à simplement faire mieux que l’autre donc s’éviter l’évolution authentique de l’être.
“Ce qui m’intéresse, c’est la vie des hommes qui ont échoué car c’est le signe qu’ils ont essayé de se surpasser.” Georges Clemenceau
A Snake, votre performance peut augmenter sans fin, si vous vous contentez de persévérer.
Dans la vie, les choses ne deviennent pas plus difficiles - elles vont juste plus vite.
Certains jeux deviennent plus difficiles à mesure que vous jouez longtemps, y compris les échecs. Les positions se compliquent, les adversaires deviennent plus difficiles, les enjeux augmentent. Vous avez un classement public, et donc plus à perdre lorsque vous jouez contre les mêmes adversaires.
Pas Snake. Le jeu reste le même à partir de la première pièce jusqu'à ce que vous manquiez d'espace sur l'écran. La seule chose qui change est la vitesse et la longueur de votre corps.
Si vous jouez à Snake à la vitesse la plus lente possible pour le restant de vos jours, sans prendre le risque d’aller vers les objectifs, vous pourriez ne jamais perdre. Le seul ennemi serait la lassitude, la monotonie, l’ennui. J’en connais qui vivent ça au quotidien. Mais l'algorithme permettant de gagner sur Snake n'est pas compliqué et vous avez amplement le temps de déplacer le serpent de façon optimale pour éviter qu’il ne se morde la queue trop vite.
Vous connaissez l’Ouroboros?
Un des plus vieux symboles ésotérique du monde, représentant un dragon ou d’un serpent en rond, se mordant la queue. Tenant son nom des grecs ou nommé Uroborus en latin, il est le symbole du cycle éternel de la nature, du temps qui se répète sans cesse, n’ayant ni début ni fin et visible à travers les saisons, le cycle jour-nuit etc,… . Il est le début et la fin, car même si la mort ou la destruction interrompt le destin de certaines personnes ou choses (comme des astres), ce n’est pas une fin car d’autres continuent leurs vies ou la commencent. Il est l’espoir d’une renaissance permanente du monde. Alors.. Game Over ou pas?
À Snake, le plus souvent, nous nous mettons au défi. Nous ne nous contentons pas de foncer sur les objectifs. Nous prenons le temps d’observer l’espace, d’optimiser nos déplacements et de rester serein face aux situations parfois inconfortables. La persévérance mène à encore plus d’accueil et de maîtrise (dans le sens noble de la maestria) de soi.
J'ai longtemps considéré la vie comme un jeu d'échecs, une série de défis de plus en plus importants. J'inventais des problèmes où il n’y en avait pas et adoptait parfois un état d'esprit de victime, préférant souvent la fuite de la situation si je ne pouvais pas gagner. Mais la vie ne devient pas de plus en plus difficile au fur et à mesure des années. Nous n'avons pas à relever de nouveaux défis si nous ne le souhaitons pas.
Cependant, la vie devient plus rapide. Chaque jour que nous vivons représente un pourcentage moins important de notre vie totale et nous percevons le temps comme se déplaçant plus rapidement.
La seule façon de “jouer” la vie - comme Snake - consiste à apprendre à jouer avec la même maîtrise (maestria) de soi jusqu’à la vitesse la plus élevée, apprendre à s’adapter et à répondre au jeu, peu importe l’endroit où apparaît le nouvel objectif. Vous devez comprendre votre propre esprit, vos propres comportements et votre propre rythme.
Dans la vie, vous ne pouvez pas contrôler le script.
Comme je l'ai mentionné plus tôt, aux échecs, il y a un «meilleur coup» pour une position donnée. Vous pouvez forcer votre adversaire dans un coin. Vous pouvez voir vingt mouvements dans le futur, si vous êtes un super ordinateur.
Les échecs viennent avec un ensemble de prescriptions et de meilleures pratiques. C'est parce que les échecs sont un système fermé. Il n'y a pas de contraintes aléatoires, pas de chance. Les pièces bougent toujours de la même manière et la position de départ est toujours identique.
C’est un jeu qui ne laisse qu’une place infime à la créativité. Nos déplacements ont pour objectif de se défendre ou d’attaquer et une défaite signifie la mort du Roi, la mort de notre règne.
Snake? Vous savez seulement quelle est votre taille et l’espace qui existe autour de vous. Vous jouez le moment présent, en essayant de construire la meilleure configuration possible, sachant qu'il est impossible de prédire la situation qui arrive. Vous ne vous laissez pas berner en pensant que vous pouvez prévoir des mouvements et contrôler l'avenir.
J'ai passé une grande partie de ma vie dans la peau d’un joueur d’échecs, à essayer de trouver le meilleur jeu (ou vie) possible ou à me diriger vers une fin de partie prédéterminée. J'étais câblé pour chercher le maximum de contrôle autour de moi.
Nous pouvons avoir planifié la soirée parfaite… Mais devinez quoi? Il se peut que rien ne se passe comme prévu. Que tout soi chamboulé avec un seul mot, un regard. Scénario qui n’est pas sécurisant…
Donc tout contrôler, sécuriser par l’extérieur, pour empêcher mes peurs de m’envahir, les renier. Émotions qui imprégnaient ma vie : peur de l’échec, peur de ce que l’autre pense ou ne pense pas, de ce qu’il dit ou ne dit pas, peur d’un manque d’amour ou d’un excès d’amour, peur de parler, peur de taire, peur d’être seul ou être engagé, peur de plaire ou de déplaire…
Il y a encore peu, il m’est arrivé de penser que j’étais entièrement et activement créateur de ce qui m’entourait, mais c’est en grande partie faux et juste prétentieux. Ça mène subtilement qu’à encore plus de contrôle et d’idées figées sur ce qui est bon ou mauvais et donc de jugement, de frustrations, etc . Le mieux que je puisse faire c’est d’accepter ce qui m’entoure et de faire le mieux que je puisse pour m’adapter à mon environnement en respectant celui que j’apprends à connaître qui n’est autre que celui qui vit dans mes chaussures.
Sur Snake, vous constaterez que les éléments aléatoires n’apparaissent que dans les espaces que vous laisserez libres, ils ne vous tombent pas dessus. Nous avons le choix de ne pas les manger et si nous le faisons, nous avons une responsabilité quant à ce qui nous arrive.
Plus j’apprends à me connaitre, moins je suis surpris par la vie et ses “farces”, j’en suis plutôt amusé même. Car tout ce qui m’arrive existe pour moi et non contre moi. Je me sens sécurisé par l’intérieur, car j’ai fais de mes peurs des alliées.
J’aime plus que tout le bonheur que me procure ce sang-froid et ce lâcher-prise sur les “résultats” de mes actions et donc celles des autres. Je ne suis certes pas encore arrivé à maturité de cet état, mais il s’installe, il s’enracine en moi.
Il n’y a que deux façons de ne pas connaître l’échec : être parfait, ou ne rien faire.
Nous ne créons ni ne contrôlons notre environnement, il se crée de lui même autour de nous, à partir de la compréhension que l’on a de nous-même.
La vie ne m'apparaît plus comme “causale”. Il y a toujours sans cesse une distribution illimitée d'événements possibles. Les choses qui arrivent ont une chance sur l’infini d’arriver. Il n’y a pas de réponse directe et prévisible à nos actions. Nos vies sont des systèmes ouverts, où un nombre d'événements non observables peuvent changer notre vision et nos perspectives en quelques instants. Même les plus grandes décisions de la vie sont difficilement calculables.
Vous pouvez essayer de deviner en vain quels éléments vous attendent lorsque vous essayez d'améliorer votre situation, ou comme dans Snake, vous pouvez simplement vous placer dans la meilleure posture possible sans chercher à contrôler le système dans lequel vous jouez.
Dans la vie, personne ne vous dit quand vous avez gagné.
Aux échecs, vous verrez votre adversaire renverser son roi avec résignation. Vous verrez les résultats du tournoi. Vous ressentirez la satisfaction de la victoire.
Je me souviens du jour où j'ai quitté cette mentalité de joueur d’échecs. Pendant une partie contre un ami, je ne me suis pas fait battre mais j'ai abandonné par frustration.
Selon les règles des échecs, il n'y a que deux façons de perdre: se faire mettre en échec et mat ou abandonner. Le jour où j'ai arrêté les échecs, j'en ai trouvé une autre :
Si je ne jouais pas avec enthousiasme ou si je jouais juste avec une attente de résultat, j'avais déjà perdu.
Lorsque je joue à Snake, la seule chose que je sais, c’est que je vais perdre et que je vais adorer recommencer.
à l’écovillage de Pourgues, J’ai l’espace et le temps pour me fixer des objectifs sans compromis. Je suis très heureux de savoir que je peux régulièrement me lancer un défi personnel et le relever tous les jours, ou pas.
Si j'accomplis ce que je m'efforce de réaliser, je suis le seul à vraiment le savoir. Et c’est tout ce qui compte.
Ma petite maison dans la prairie à l’écovillage de Pourgues.
Jouer renforce ma détermination, ma concentration, ma volonté de découvrir et de persévérer dans des domaines que je ne connais pas et qui n’ont aucune finalité.
Je ne joue pas pour gagner - je joue pour jouer.
Le jeu de la vie devrait être que pure enthousiasme. Nous ne devrions pas seulement voir, chercher ou créer nos ennemis, tenter de contrôler notre entourage, notre environnement.
Vous et vous seuls pouvez choisir comment vous jouez votre vie.
Le bon jeu n’est pas forcément celui le plus joué.
“Les gens qui vivent dans la terreur de l’échec ne réalisent
jamais leur potentiel. Si l’on n’apprend pas à échouer,
on échoue à apprendre.”
Tal Ben Shahar
Il s’agit ici de mon propre rapport aux échecs, mon prisme et les rapprochements que je peux en faire selon ma propre expérience de vie, j’aurai pu prendre comme exemple le Monopoly. Je respecte profondément ce jeu et ses joueurs! Et il m’arrive encore d’y jouer :)
A bientôt à Pourgues ;)
Tout change
Je me dis qu'on devrait tous faire un stage d'art martial dans notre collectif. Parce que le collectif, c'est du sport. D'une certaine façon, on n’arrête pas de se prendre des coups. Et on n’a jamais appris comment les recevoir. Et si on faisait un stage d'art martial, on pourrait peut-être apprendre à mieux les absorber, apprendre à tomber, se relever, et remonter sur le ring.
Hélène Marquer - habitante du Village de Pourgues. Hélène a étudié la sociologie et le management des médias. Elle s'est vite rendue compte qu'elle ne tiendrait pas derrière un bureau. Elle a donc pris la caméra pour réaliser des vidéos sur la permaculture (pour l'association UCIT), l'éducation démocratique et d'autres sujets qui lui tiennent à cœur. La voici maintenant à Pourgues à la recherche de son artiste intérieur. Au village, elle s'amuse à organiser mariage, Guinguette, coudre des toiles de yourtes et des coussins, et danser quand elle peut !
En direct de ma jolie maison en bois, face aux montagnes, je sens que c'est le moment de me retrousser les manches. Après quelques postures de yoga, me voilà enfin prête à écrire ces quelques lignes qui peinent à accoucher. Je me sens fatiguée et je me dis que je devrais moi-même utiliser cette affirmation que je m'apprête à taper sur mon clavier :
Toute personne qui intègre un collectif devrait faire un stage de Tai Ho Jutsu.
(ou de kung fu, ou tout autre art martial). Moi je dis Tai Ho Jutsu car c’est l’art martial que j’ai rencontré un jour de pluie dans le bois de Vincennes.
Le tourbillon
Il y a quelques années (ça ne fait pas si longtemps), je vivais dans le tourbillon de mes émotions, tantôt menée par une forte excitation, tantôt emportée par la peur, allant jusqu'à la dépression. Dépression – excitation – dépression – excitation. A cette époque, j'aimais les sensations fortes et je comprends qu'une de mes attractions préférées demeurait « Les montagnes russes ». Ah ah, ce devait être une simple allégorie de mon état intérieur.
En allant vivre à Paris, grâce à de précieuses rencontres, je me suis mise à la sophrologie puis, à la méditation. Petit à petit, j'affinais la connaissance de moi-même. Encore dans cet état fébrile, je me souviens du jour de mes 28 ans. Cela faisait quelques années que fêter mon anniversaire m'angoissait au plus haut point. Ce jour là avait lieu un stage de Tai Ho Jutsu organisé par mon professeur de sophrologie, tout près de chez moi, dans le bois de Vincennes. J'étais tellement indécise que je n'avais pu donner une réponse claire quant à ma venue. Je m'étais finalement décidée ½ heure avant le stage en pesant le pour et le contre, tantôt à l'aide de mon tarot des couleurs, tantôt de mon pendule, après avoir appelée trois fois une amie pour lui demander son avis et pleuré un bon coup en me morfondant sur mon triste sort et mon pathétisme à ne pas savoir me décider. Bref, comme d'habitude, j'arrivais donc trente minutes en retard, les yeux rouges et en sueur, ayant oublié mon pique-nique et complètement stressée.
Nous étions une petite quinzaine, et nous nous sommes réunis, deux par deux, sous les arbres. Je me suis retrouvée face à un gros gars qui faisait deux têtes de plus que moi, bien baraqué et videur de boîte de nuit. Littéralement, nous devions nous exercer à nous donner des coups. Pour info, le Tai Ho Jutsu est une synthèse d'arts martiaux créée spécialement par la police japonaise. Autant dire que ça envoie du lourd. Pour la première fois, je me suis littéralement mise à prendre des coups (et à en donner accessoirement). Ce fut un choc. Au début, ça faisait mal, mon corps n'aimait pas ça. Au bout de la troisième fois, cela ne me faisait plus aussi mal. J'apprenais à accepter le choc. Je ne veux pas dire ici que l'idée était de devenir sado-masochiste (quoique je n'ai pas suffisamment étudié la question pour savoir si cela me plairait). Mais plutôt d'apprendre à prendre des coups. A un moment, mon enseignant, m'a aussi dit que j'avais tendance à anticiper les coups alors que l'on ne m'attaquait même pas.
Le soir, dans mon lit, j'étais toute courbaturée mais pleine d'énergie. Ce stage m'avait tellement reboostée que j'avais passé une belle journée d'anniversaire. Le yeux fixés au plafond, je faisais le bilan de ce stage.
J'ai alors réalisé deux choses :
La première : je n'ai jamais appris à prendre des coups sans avoir mal. (Et accessoirement, je n'ai jamais appris à tomber.)
La deuxième : mon corps parle pour moi. Ma posture physique dans le combat reflète ma posture dans la vie. J'anticipe des coups alors que personne ne m’attaque.
Voilà donc pourquoi je me dis qu'on devrait tous faire un stage d'art martial dans notre collectif. Parce que le collectif, c'est du sport.
D'une certaine façon, on n’arrête pas de se prendre des coups. Et on n’a jamais appris comment les recevoir. Et si on faisait un stage d'art martial, on pourrait peut-être apprendre à mieux les absorber, apprendre à tomber, se relever, et remonter sur le ring.
Je n’arrête pas de prendre des coups ? Comment ça ?
Ici, je ferais ma petite théorie à moi qui vaut ce qu'elle vaut. J'ai constaté que quand je participe à un CoVi (Conseil de Village) ou un CEA (Comité d'Enquête et d'Arbitrage), ou d'autres réunions collectives, je ressens beaucoup d'émotions. Il m'est même arrivé à plusieurs reprises de sortir et d'être épuisée comme après un combat sur un ring de boxe. Aussi, dans les interactions du quotidien, j'ai sans cesse l'impression de recevoir un grand nombre de messages : les nouvelles idées de certains ; leurs appréhensions ; leurs peurs ; leurs projets ; leurs espoirs ; leurs priorités etc.
Chacun de ces messages peut-être vécu pour moi comme un coup qu'on me donne. Ces nouvelles données viennent donner un coup de pied dans la fourmilière de mon corps, bouleverser mes évidences, mes visions, les projections que j'avais faites.
J'ai constaté que la première attitude que j'ai face à une nouveauté, dans 80% des cas, c'est : de la peur. B. et J. veulent construire leur maison et il y aurait un chantier participatif avec 30 personnes. Feu rouge, feu rouge, feu rouge. Un grand feu rouge s'allume au croisement de la 25è avenue et la 10è rue de mes neurones. Une foule de questions se précipite à la porte de ma bouche « mais comment on va faire ça ? Ce fera trop de monde, pas les infrastructures etc. ». Le scénario catastrophe hollywoodien se met en marche dans ma tête avec un tremblement de terre à la fin et des dinosaures qui surgissent. Bref, je me rétracte. Cela vient bouleverser la vision que j'ai à ce moment là de la vie à Pourgues. Une nouvelle donnée surgit et mon système est grillé. Ça fait des étincelles, au secours, je vais exploser !
A ce moment là, mon esprit aurait envie d'un carillon japonais. Aucun bruit, juste le bruissement doux du vent dans les feuilles de bambous. Calme et stabilité. Que rien ne bouge, que rien ne change. Cela m'est tellement rassurant. Petit panda, je pourrais simplement me balancer, accrochée à mon bambou.
Mais je suis toujours rattrapée par le contraire : tout change tout le temps !
Jeudi. Il fait beau. Pour une fois, je suis seule dans la cuisine. Il est tout juste 16h. Je viens de finir le ménage, la cuisine est nickel. J'ai même nettoyé les plaques de cuisson, astiqué les plans de travail avec le vinaigre à la framboise. Ils brillent. J'ai fait du rangement, plus rien ne traîne. Tout est dans la boîte « objets trouvés ». Je suis tellement contente. Plénitude, petit soupir de réussite. Appuyée sur mon balais, je contemple les montagnes. Je suis tellement bien.
Je vais faire une sieste. Le repos du guerrier est bien mérité.
Je reviens dans la cuisine. Coup de poing.
Le commentateur prend le micro « Hélène est tombée KO sur le ring, va-t-elle se relever ?» L'arbitre montre son pousse et dit le premier chiffre : « 1 seconde ! ». La foule attend, en suspens.
Hélène regarde le plan de travail. Il est recouvert de farine. Une douce pluie de pâte à gâteaux goutte, des ustensiles sur la surface précédemment brillante. J. fait un grand sourire à Hélène « Je prépare un brownie pour le goûter ! ».
L'arbitre montre alors l'index et prononce le second chiffre : « 2 secondes, Hélène va t'elle se relever ? ». Hélène regarde la scène, regard dirigé vers le frigo : bébé Z, cul nul, lui sourit et se met à faire pipi sur le sol de la cuisine.
L'arbitre montre alors le majeur et prononce le troisième chiffre : « 3 secondes ! ».
Hélène ne se relève pas, c'en est trop pour Hélène, « Définitivement KO », crie l'arbitre dans le micro.
Oui, dans ces moments là, je suis définitivement KO. Et dans ma tête se bousculent des peurs, des colères, des exaspérations. Je prends un coup et je me rajoute de grosses baffes. Et une, et deux et trois ! Et même un bon coquard pour la route.
« J'ai fait tout ça pour rien ! Personne ne respecte rien ici ! Je déteste les gens qui font les gâteaux l'après-midi juste après le ménage. Définitivement, je hais les bébés. Puisque c'est comme ça, je n'en aurais pas. Et je déteste ces parents qui ne mettent pas de couches aux bébés. Et je déteste la vie en collectif car on ne peut vraiment pas compter sur les autres pour faire attention ! Et puisque c'est comme ça, je vais me casser et vivre toute seule dans une cabane en Alaska. Au moins je serais tranquille et personne ne me dérangera, jamais. Je ferais comme je veux, et merde ! »
Mais en fait, je voudrais quoi au juste ? Que la cuisine ressemble à un musée dans lequel chaque ingrédient serait sous une cloche en verre. Le sol éternellement brillant. Les pots éternellement remplis. Personne ne salirait le plan de travail avec de la farine, le sol avec de l'eau ou du pipi.
En fait ce serait génial car il n'y aurait pas un chat dans la cuisine et ça ne bougerait pas. En fait il n’y aurait même pas de cuisine et il n'y aurait personne. En fait, il n'y aurait pas de vie. Rien.
En fait ce serait juste euh.... mort.
Mort ???
Ok donc je dois accepter que tout change tout le temps car : c'est ça la vie.
Quand je suis seule dans mon espace, c'est facile à vivre. Chaque objet, il n'y a que moi qui le déplace. Ça n'impacte que moi si je laisse de la vaisselle traîner dans l'évier et je peux même laisser pourrir des ingrédients au frigo.
A partir du moment où je partage mon espace avec quelqu'un commencent à surgir plus d'incertitudes et de chaos dans mon ordre à moi : des objets, du désordre s'ajoutent. Je commence à prendre des coups dans mon univers contrôlé. Ce bel apollon dans mon lit bouleverse mon rythme de sommeil car il ronfle. Ça, c'est juste quand on est deux. Puis, on va vivre en collocation et constater que les incertitudes et les changements augmentent, puis en famille, avec l'arrivée des enfants.
Et puis vient l'étape collectif. Nous vivons à trente. Le changement se vit au quotidien puissance trente. Et il faut être bien accroché. Des fois je me demande même si un être humain est capable de s'adapter à autant de nouveautés au quotidien. A trente individus, l'univers spatial change en un rien de temps : il permet de rendre la bâtisse nickel en deux heures avec cinq personnes qui font le ménage. Mais il multiplie aussi en un rien de temps le nombre de tasses oubliées sur une table. Et ça donne vite une impression de chaos.
Ici je parle juste des effets matériels. Tout à fait visibles et évidents. Ajouter à cela les réflexions, les idées. Nous sommes trente individus différents avec nos envies différentes, nos idées différentes, nos émotions différentes. Au quotidien ne cessent de se succéder les nouvelles priorités des uns et des autres à l'agenda : par mail, dans les discussions etc ; ne cessent de se confronter les émotions ; les aspirations des uns et des autres.
Et des fois je me sens submergée : trop de nouveautés, trop de coups de pieds dans ma fourmilière. Ou peut-être que je devrais comparer cela à des tremblements de terre. La vie en collectif est pleine de petits tremblements de terre allant de 1 à 6 sur l'échelle de Richter. « Et nous avons des problèmes financiers ce mois-ci ! ». Le commentateur radio déclare : “Séisme d'amplitude 5 sur l’échelle de Richter. L'épicentre est situé en plein cerveau d’Hélène.” Ahhhhhh !!!
Je comprends donc pourquoi les entreprises fonctionnent avec une structure figée, une organisation muselée, une hiérarchie inébranlable. Parce que c'est bien plus simple pour ceux qui les gèrent, ça évite les tremblements de terre. Ou bien, on évite peut-être de considérer les coups que certains se prennent.
En fait, la vie, c'est le changement ! Chaque jour, chacun n'arrête pas de changer, dans ses centres d'intérêts, ses envies, ses émotions. Chacun grandit, vieillit, s'enrichit, se débarrasse de choses, en choisit d'autres. Tout change tout le temps. Rien qu'à regarder les arbres ou les fleurs, tout change tout le temps autour de nous dans la nature, rien de plus évident. Il pleut, il vente, il fait soleil, il neige.
Entraînement au changement pour tous !
Je me dis que ça mérite d'être entraîné. A Pourgues, on est déjà pas si mal ! Une des premières choses qu'on apprend ici c'est que n'importe quelle règle peut changer. Tout peut évoluer. Ce n'est pas parce qu'on s'est accordé sur quelque chose il y a trois mois que cela reste gravé dans le marbre des tables de loi de Pourgues pour les trois prochaines générations. D'ailleurs, Liliana, notre responsable du CoVi réimprime notre règlement chaque semaine. Il n'est jamais le même.
De mon côté, j'essaie aussi d'avancer. Avant (et cela arrive encore), je pouvais réagir au quart de tour sur une nouvelle idée : la prendre très au sérieux émotionnellement, laissant déborder ma peur ou mon appréhension. Ou bien j'avais besoin de m'investir dans chaque nouveau sujet, suivre tous les dossiers. Mais je me suis demandée si ce n'était pas une forme de contrôle. Et ça faisait trop pour moi.
Tout change tellement, que je ne peux pas suivre tous les trains en marche. J'ai donc décidé de rester sur le quai plus souvent ; et de lâcher prise. Si cela est vraiment important pour d'autres, je leur laisse le soin de le faire et leur fais confiance. En tous cas, je choisis de moins réagir au changement. J'esquive les coups. Ou je les absorbe sans qu'ils ne provoquent de douleur en moi. Ou bien j'observe les combats, sur le ring, au loin.
Voilà pourquoi je me dis que le Tai Ho Jutsu pourrait nous aider à absorber les nouveautés. Ça pourrait être une base pour aborder les coups d’une autre manière qu’en réagissant : « Ça fait trop mal, ça va me casser le bras ! ». On apprendrait aussi à tomber. Pour se rendre compte que ce n'est pas si terrible. On verrait peut-être aussi qu'on peut acquérir des réflexes qui nous permettraient de ne pas être autant affectée par les coups et par la chute.
Parce que si je me laisse tomber comme un sac à patates sur le pavé, je risque de me casser quelque chose. Mais si je tombe et me mets en boule, je n'en récolterais que quelques bleus, rien de plus. Et je me releverais, prête à remonter sur le ring pour un nouveau combat.
NB : J'avoue que cet article m'a un peu été soufflé pendant l'une de mes méditations. Pendant ce long stage de Vipassana, à force d’observer ma respiration et garder le silence, la pratique m’amène à découvrir cela : « Si tu observes la réalité dans ton corps, tu observes que tout change. Chaque sensation apparaît puis disparaît. Alors ça ne sert à rien d'y réagir ! » Il m'a semblé évident de faire le parallèle avec Pourgues, car, mine de rien j'ai une fâcheuse tendance à réagir... Mais bon, j'apprends...
Madame l'Inspectrice, créons une école démocratique publique en Ariège
Chère Madame, Notre échange du vendredi 23 mars fut d'une transparence et d'une sincérité étonnantes. Il a confirmé pour moi l'intérêt de se rencontrer pour coopérer sur nos intérêts communs, plutôt que de rester repliés sur nous-mêmes avec nos méfiances. Cet entretien m'a apporté de nouvelles clés de compréhension des enjeux que le service public vit en Ariège, et qui me préoccupent également. Le cadre que (…)
Ramïn Farhangi - cofondateur de l'école dynamique et du Village de Pourgues. Auteur du TEDx et du livre "pourquoi j'ai créé une école où les enfants font ce qu'ils veulent" (à paraître chez Actes Sud en septembre 2018). Ramïn propose une formation pour les porteurs de projets d'écoles et de villages d'inspiration Sudbury.
A l'attention de Madame l’Inspectrice de l’Éducation Nationale
Chère Madame,
Notre échange du vendredi 23 mars fut d'une transparence et d'une sincérité étonnantes. Il a confirmé pour moi l'intérêt de se rencontrer pour coopérer sur nos intérêts communs, plutôt que de rester repliés sur nous-mêmes avec nos méfiances.
Cet entretien m'a apporté de nouvelles clés de compréhension des enjeux que le service public vit en Ariège, et qui me préoccupent également. Le cadre que vous avez posé plusieurs fois pour guider notre discussion (les 3 niveaux de responsabilité) m'a inspiré, et je vais le reprendre ici pour proposer des solutions qui pourraient mener à un résultat où tous les acteurs sortiraient gagnants.
(note : pour faire court, lorsque je mentionne "nous" ou "les familles" dans ce qui suit, je parle spécifiquement des "familles ayant fait le choix d'une approche éducative notamment inspirée de Sudbury Valley School, où les enfants évoluent dans un milieu immersif de vie collective en démocratie, sans qu'on leur propose le suivi d'un programme scolaire")
1) La responsabilité des familles
Nous avons identifié l'origine du désaccord profond qui persiste quant à deux visions possibles de l'exercice d'une responsabilité d'instructeur. L'une propose qu'instruction rime avec enseignement par un expert et suivi progressif des apprentissages ; l'autre propose que l'apprenant est déjà doté de dispositions spontanées pour prendre en main son instruction, selon une démarche qui lui est propre. L'une propose qu'une instruction sur certains domaines ne peut se faire que lors de certains âges sensibles ; l'autre propose qu'il n'y a pas d'âge plus propice qu'un autre, quelle que soit la compétence travaillée, y compris pour la motricité fine, la lecture et l'écriture. Ces deux hypothèses radicalement différentes expliquent pourquoi d'une part, il est nécessaire d'exercer un contrôle permanent de l'instruction, et que d'autre part, on peut laisser l'enfant vaquer à ses occupations et vivre avec la confiance qu'il apprendra en temps voulu tout ce qu'il a besoin d'apprendre pour devenir un citoyen libre.
De notre côté, il n'y a donc pas (je vous cite) "de malentendu entre éducation familiale et instruction". Notre confiance en l'enfant pour diriger sa propre instruction se base sur une pratique qui a une longue histoire en France (notamment au sein de l'école publique, voir Bernard Collot et l'école du village de Moussac), et partout dans le monde. Nous la pratiquons aujourd'hui en âme et conscience, et Summerhill nous donne au moins un siècle de recul. Nous assumons totalement les conséquences d'avoir choisi une pratique aussi différente de la norme établie. Certains y voient un pari risqué sur l'avenir de nos enfants, alors que d'autres voient l'approche conventionnelle comme un pari tout aussi risqué.
La notion de "risque" et de "responsabilité en matière d'instruction" est donc relative. Il est ainsi raisonnable d'accorder un respect égal à la conception que chaque individu s'en fait. Je suis ravi que nous ayons pu atteindre un tel niveau de clarté, de tolérance et même de respect vis-à-vis de nos visions respectives, si différentes, et dont la coexistence pacifique est pourtant tout à fait possible et bénéfique au sein d'une République inclusive d'une pluralité de convictions et de sensibilités.
2) Votre responsabilité d'inspectrice
Notre échange a eu un enjeu crucial de mon point de vue : celui de clarifier le niveau de confiance et de liberté qu'accorde l'administration française aux familles. J'ai compris des choses que je n'avais jamais entendues de la bouche d'un représentant de l’État, qui viennent utilement clarifier que notre choix éducatif est tolérable, malgré les mises en gardes que vous vous devez de nous apporter.
En fait :
Un premier avis négatif est presque systématique lorsque vous constatez cette approche éducative, car dans l'absence de certains éléments demandés par votre protocole (traces écrites, suivi précis de la progression de l'enfant...), c'est tout simplement la logique à suivre (je note, au passage, que ce protocole n'est pas suivi partout en France, mais plutôt spécifique à l'Ariège). Si vous donnez un avis positif malgré ces manquements, cela pourrait vous être reproché. En essayant de voir le côté positif de cette contrainte administrative d'un deuxième rendez-vous, on pourrait dire que c'est une manière de se voir plus souvent afin de cultiver notre lien de confiance.
Un deuxième avis négatif est aussi systématique lorsque vous n'avez pas eu d'éléments supplémentaires (traces écrites et suivi demandés) et que vous n'avez pas pu constater une progression de l'enfant sur les compétences évaluées sur les exercices. Une fois de plus, si vous donnez un avis positif, on pourrait vous reprocher de ne pas faire votre travail correctement. Le plus souvent, vous êtes conciliantes et vous mettez la famille en demeure jusqu'à l'année d'après, en lui demandant de vous fournir suffisamment d'éléments la prochaine fois, en préparant un peu de français, de maths, de travaux écrits, d'exposés, etc.
L'année d'après, vous arrivez parfois à obtenir cela de la famille, mais en général, elles ne sont pas prêtes à demander à leur enfant de faire des choses uniquement pour correspondre aux attentes d'une inspection, car ce serait compromettre le principe de base de notre approche : que l'enfant a les pleins pouvoirs sur sa propre vie et agit sur la base de sa motivation intrinsèque. Ne pouvant toujours pas constater d'éléments suffisants et dans l'échec des négociations avec la famille, cela peut mener à une injonction de scolarisation.
Désobéir à une injonction de scolarité soulève tellement d'incertitude et d'anxiété chez la famille (tribunal ? amende ? gendarmerie qui amène l'enfant à l'école de force ? prison ? placement de l'enfant ?...) que celle-ci peut aller jusqu'à s'exiler pour cesser de vivre dans la peur. Décision hâtive, vu que le pire qu'une famille puisse subir est (je vous cite) de "l'enquiquinement administratif". L’État n'a jamais séparé un enfant de sa famille pour une instruction supposément insuffisante. D'ailleurs, lorsque le climat familial et le milieu socio-culturel de l'enfant est favorable, il ne vous viendrait jamais à l'idée de saisir le procureur. Bref, la menace qui plane de séparer l'enfant de la famille est un épouvantail ; les parents en ont peur comme on peut avoir peur des fantômes. Ceci dit, c'est tellement tabou qu'on n'ose jamais en parler et mettre au clair que ce sort n'est réservé qu'à des parents pratiquant de sévères maltraitances sur leurs enfants ou un endoctrinement sectaire. Je suis bien content que l'échange de vendredi ait permis de mettre cela à nu de manière aussi claire.
Il m'est apparu que vos avis défavorables sont principalement guidés par la crainte que votre hiérarchie ou qu'une famille se retourne un jour contre vous pour avoir insuffisamment joué votre rôle, visant à fournir les suffisantes mises en garde aux parents faisant (selon vous) des paris éducatifs risqués et encore peu prouvés. Si ceux-ci se révèlent être un échec, vous risqueriez peut-être des conséquences.
Or, tout ce procédé cause des dommage collatéraux qui font que tout le monde est perdant. Vous êtes bien au courant que de plus en plus de familles ne déclarent pas leur enfant, cessent de recevoir vos recommandés, font semblant d'habiter ailleurs, refusent le contrôle ou ajournent sans cesse chaque rendez-vous. Par ailleurs, nombre de familles qui répondent présent vous mentent par peur de l'avis défavorable, comme des élèves qui trichent au contrôle. Vu l'ambiance habituelle des inspections, où, comme pour Mesdames Reboulleau et Rouyer l'année dernière, les familles se sont senties peu écoutées voire jugées sur leurs choix éducatifs, nombre d'entre elles ont maintenant peur de vous ou se sentent vexées. Elles redoutent l'inspection et tous les moyens sont bons pour l'éviter.
Or, si toutes les inspections se passaient comme celle de vendredi, il n'y aurait plus aucune raison de se fuir les uns les autres. Il n'y a plus de raison d'avoir peur les uns des autres. Je vais d'ailleurs encourager toutes les familles qui vous évitent à reprendre contact avec vous et restaurer un contact, pour que vous saisissiez justement l'ampleur du phénomène et le nombre de témoignages allant dans un sens similaire à ceux que vous connaissez déjà. Les familles seraient par ailleurs davantage sensibilisées à vos préoccupations. Cela permettrait d'établir une communication utile qui nous permettra à tous de mieux nous comprendre les uns les autres.
Côté familles, le plus important pour nous est de savoir que nous pouvons vivre avec la certitude absolue que nos enfants ne seront jamais placés, et que les pires conséquences que nous puissions vivre sont des séries de courriers et de rendez-vous administratifs. Les épouvantails s'envolent. Un grand merci pour cette mise au point !
3) Notre responsabilité conjointe
Venons-en maintenant au sujet qui nous préoccupe le plus à notre niveau : celui des conséquences plus systémiques du mouvement social dont nous parlons ici. D'après une récente discussion entre des représentants de EUDEC France et la conseillère du Président de Commission Bruno Studer, la préoccupation est bien présente au niveau national ; les députés de la Commission Éducation de l'Assemblée Nationale questionnent le phénomène. De plus en plus de familles et de professionnels quittent l'école publique. Pourquoi est-ce que les fuites s'accélèrent ? Quelles sont les motivations et les besoins de ceux qui partent ?
En Ariège, vous citez un contexte particulier, où l'insatisfaction vis-à-vis de l'école publique est particulièrement grande, malgré une offre pourtant diversifiée, incluant même des écoles Montessori. Malgré une certaine dose de démocratie et de pédagogies actives, malgré les efforts de l'éducation nationale pour se diversifier et se renouveler, on dirait que quelle que soit la proposition actuelle de l'école publique, force est de constater que nombre de familles n'en veulent pas. Toute tentative de les convaincre d'y réinscrire leurs enfants étant vaine.
Pour ce qui est de notre réseau de familles, ce n'est pas étonnant. Nous ne voulons pas de programme scolaire. Nous voulons une école où il n'y a ni attente de la part des adultes, ni évaluation. Le seul cadre qui nous est proposé pour cela aujourd'hui est celui des écoles hors contrat. Je n'ai pas l'intention, pour ma part, d'ouvrir une telle école, mais je constate que si j'entreprenais cela un jour du côté de la Vallée de la Lèze, je pourrais facilement réunir une cinquantaine d'élèves dès la première année.
Si j'avais le projet d'ouvrir une école comme l'École Dynamique sur ce territoire, et que j'avais le choix entre le public et le privé, je choisirais sans hésiter de travailler pour l’État. D'ailleurs, si ça ne tenait qu'à moi, les 30 écoles démocratiques en France seraient publiques plutôt que hors contrat. Mais force est de constater qu'il n'existe que 2 écoles démocratiques publiques aujourd'hui (le LAP et le Lycée Expérimental de Saint Nazaire), réservées aux plus de 16 ans, et s'adressant principalement aux décrocheurs. Il n'existe pas d'école pour les moins de 16 ans s'adressant à des familles qui font ce choix par adhésion et non par défaut.
Pour ce qui est du projet d'expérimentation publique à Grenoble que j'avais commencé à vous raconter, elle ne verra finalement jamais le jour, malgré le soutien du maire de Crolles, un local à leur disposition, le soutien de nombre de sénateurs et députés (dont Olivier Veran et Jean-Claude Carle). Les acteurs de l’Éducation Nationale ne souhaitaient pas le lancement de ce projet : opposition du côté de l'Académie de Grenoble, de la DGESCO et du cabinet du Ministre. JM Blanquer serait partant pour des expérimentations venant d'initiatives citoyennes et il aurait été prêt à émettre un décret dans ce sens, mais il ne peut pas agir sans le soutien des acteurs de l'EN sur le terrain.
Suite à notre entretien de vendredi, j'ai eu un moment d'Eurêka. La vallée de la Lèze et Grenoble sont des contextes différents. À Grenoble, il n'y a pas une telle population d'enfants qui évoluent hors de tout parcours balisé. Je pense que vous comme moi, plutôt que de les voir déconnectés de toute structure institutionnelle, nous souhaitons voir ces enfants fréquenter une école où ils saisiraient les enjeux de la vie citoyenne, en République ; où ils apprendraient ce qu'implique une vie en liberté avec les contraintes inhérentes à la vie collective, avec ses règles et les conséquences des actes de chacun sur le groupe. À l'heure actuelle, l'apprentissage du vivre-ensemble en démocratie ne leur est pas accessible, et nous craignons des phénomènes de repli sur soi et de méfiance de l'institution. Nous avons maintenant le choix :
Continuer d'essayer de convaincre les familles de revenir vers les programmes scolaires, de changer leurs choix éducatifs ou leur volonté de monter des structures comme l'école Pleine Nature. J'ai le sentiment que cette stratégie ne peut mener qu'à un conflit stérile et sans issue. Elle ne ferait que renforcer la fracture entre l'institution et ces familles, et le suicide social qui va avec.
Travailler ensemble pour élargir l'offre publique à des approches comme celle de l'École Dynamique et l'école Pleine Nature, qui répondent à un besoin et une claire volonté des familles. Une école avec une approche qui ne vous convaint pas vaut mieux que "pas d'école du tout".
Notre entretien de vendredi inspire une idée sur laquelle nous pourrions réfléchir et œuvrer ensemble : celle d'ouvrir un projet d'expérimentation publique dans la Vallée de la Lèze. C'est une opportunité de réintégrer de nombreux enfants déscolarisés au sein du système public, et éviter qu'ils ne se rabattent sur des initiatives privées répondant à leur besoin. Par ailleurs, l'IEF concerne nombre de familles pauvres qui n'ont pas les moyens d'accéder à une école privée. 36% de l'effectif de l'école Pleine Nature est issue de l'IEF ; je suis convaincu que si on rendait une école similaire accessible à tous les milieux économiques, ce chiffre serait encore plus élevé. Ne serait-ce pas une amélioration, de votre point de vue, que ces familles puissent accéder à une école, même si elle propose une approche dérogeant aux programmes, plutôt que d'être en IEF ? Je pense que l'IEF présente de grandes qualités et que ce cadre devrait toujours rester une option disponible, mais il me semble que vous et moi croyons aux bénéfices de vivre une expérience collective durant l'enfance, organisée selon des règles qui ont passé l'épreuve du temps.
Cette expérimentation permettrait aussi de contribuer à la recherche en sciences humaines et sociales, offrant aux chercheurs un terrain pour mener des travaux inédits. J'ai déjà en tête de nombreux détails concernant la mise en œuvre de ce projet, et je suis motivé pour travailler avec vous sur une telle réalisation.
Ceci dit, n'allons pas plus vite que la musique. Que diriez-vous d'en discuter d'abord dans un cadre plus informel ? Si vous êtes disponible pour faire le chemin, vous êtes invitée à venir à Pourgues, Le Fossat. Ce serait aussi l'occasion de faire connaissance plus directement avec ce lieu, plutôt que par l'intermédiaire des Renseignement Territoriaux. Qu'en pensez-vous ?
Bien à vous.
Le pari de la confiance en l'individu
Comment ça se passe, une vie à trente, quand aucune tâche n’est obligatoire ? Quand la contribution financière de chacun est libre ? Au coeur de cette balance entre liberté et responsabilité, découvrez les applications concrètes de ce pari inhabituel de la confiance en l’individu.
Elfi Reboulleau - cofondatrice du Village de Pourgues, autrice de contes philosophiques et du livre L'enfantement conscient. Elle est également musicienne, et partage des textes et son actualité sur son site.
Elle propose des immersions à Pourgues pour les familles intéressées par l'éducation démocratique.
Dans quelle considération de l'être humain avons-nous grandi ?
Un bébé d'à peine quelque mois de vie qui exprime son besoin de contact est parfois accusé de « faire des caprices », de tenter de « manipuler » ses parents pour un intérêt qui serait différent du leur. Quelques années plus tard, une jeune personne pourra être considérée comme incapable de discernement, d'une nature oisive et inconséquente dont on se méfie et dont on tente de la protéger. Même entre adultes, la crainte de l'égoïsme ou de l'inconscience de l'autre nous empêche souvent de tendre la main sans garde-fou.
Et si nous changions de logique ?
Au village, nous avons décidé de faire le pari de la confiance en l'individu. De bien grands mots, un peu pompeux et surfaits si l'on reste en surface. Mais si l'on entre dans le concret, dans l'application vivante de cette idée, alors cela devient intéressant, et pas si évident.
Tout est fait sur la base du volontariat
Vivre à 30 demande une certaine logistique en terme de tâches ménagères et d'organisation des repas. Au début de l'aventure, nous avions décidé de créer un grand tableau dans lequel chacun devait s'inscrire sur plusieurs créneaux par semaine : pour faire à manger, ou bien pour nettoyer la cuisine. Au sujet du ménage, plusieurs équipes se partageaient les différents espaces communs. Pour rester cohérents avec notre philosophie de base de respect de la liberté individuelle, nous avions trouvé comme compromis le fait que les villageois devaient s'inscrire mais avaient le choix de la tâche effectuée.
Au bout de quelques temps, nous nous sommes aperçus que le fait d'être obligés de s'inscrire créait une drôle d'ambiance, loin de celle que nous affectionnons, dans laquelle une personne agit de bon cœur car son enthousiasme n'est pas terni par la contrainte.
Au compromis teinté de peur, nous avons alors fait le choix de la radicalité. J'observe que c'est souvent dans des choix pleins et entiers que se révèlent les trésors entr'aperçus dans une intuition de base.
Après discussion, nous avons fait disparaître le grand tableau. Dissout les équipes de ménages. Plus rien, uniquement la confiance en la capacité des individus à pouvoir se responsabiliser sans contrainte extérieure. De nombreuses craintes sont apparues, mais nous avons sauté le pas.
Nous sommes passés par plusieurs phases, certaines où tout était fluide, d'autres où le chaos semblait s'installer. A chaque fois alors, une nouvelle organisation spontanée se mettait en place, les bonnes volontés se coordonnaient pour avancer ensemble. Aujourd'hui, nous ne regrettons pas ce choix. Même pour nos formations, nous recevons parfois une dizaine de personnes en pension complète pendant une semaine, ce qui représente une somme de travail considérable, et tout est fait sur l'unique base du volontariat. Sans aucune obligation de contribuer. D'ailleurs, certains villageois ne contribuent pas et personne ne leur en tient rigueur. Si une personne n'est pas là, c'est qu'elle met son temps et sa force ailleurs, dans quelque-chose d'aussi important. Même si elle a besoin de se reposer, si elle considère que c'est prioritaire, alors elle est soutenue.
J'observe que, souvent, lorsque les besoins d'un individu sont respecté, naît en lui spontanément l'envie de contribuer au bon fonctionnement du monde qui l'entoure. Nul besoin de le forcer, juste de le considérer.
Et si cela n'était pas le cas, que certains ne contribuaient pas du tout, ou très peu ? Eh bien si cela venait à me questionner, je sais que personnellement cela m'inviterait à prendre mes responsabilités et à aller parler avec cette personne de ce que son attitude éveille en moi. D'essayer de comprendre sa réalité.
Le pari de cette confiance en la capacité d'auto-responsabilisation de l'autre n'implique pas de tout accepter sans rien dire, en niant une réalité qui ne collerait pas à une vision idéalisée de la situation.
Au contraire, l'honnêteté me semble être un gage de progression individuelle et commune. Tout est une question de choix : celui de ne pas passer par la contrainte n'est pas plus facile ni plus difficile qu'un autre, c'est simplement celui vers lequel nous avons collectivement décidé d'aller, celui qui nous enthousiasme le plus.
La contribution financière mensuelle est libre
Nous appliquons la même logique sur le plan financier, ce qui soulève également des questionnements et craintes que nous avons décidé de ne pas suivre. Ici, chacun verse ce qu'il veut dans le pot commun qui nous sert à acheter de la nourriture, du matériel et à payer nos charges fixes. Nous avons calculé qu'une personne « coûte » en moyenne environ 540 euros par mois. Certains villageois aujourd'hui ont la possibilité de donner le quadruple, d'autres ne versent rien du tout. Nous avons confiance que chacun est conscient des enjeux financiers et fait de son mieux pour y participer. Il y a quelques mois, nous nous sommes aperçus être en déficit financier. Lors de la réunion prévue pour aborder le sujet, tous les villageois étaient présents, ce qui n'arrive quasiment jamais. A la suite de cette réunion, nous avons fait ensemble des choix ambitieux de réduction de nos dépenses, et plusieurs d'entre-nous se sont mis à proposer des formations sur le lieu, lançant ainsi leur activité économique.
La révolution « sollicitation d'avis »
Une autre de nos pérégrinations illustrant ce choix de la confiance réside dans le choix de notre organisation interne. Les décisions importantes sont prises lors du Conseil de Village hebdomadaire, auquel chacun peut participer. En dehors de cet organe, nous avions décidé au début de créer tout un tas de commissions. Les commissions « Espace verts », « Accueil », mais encore « Bien-être des habitants » ou « Aménagement ». Avec des sous-commissions, par exemple « Aménagement extérieur » et « Aménagement intérieur » etc. Quand un membre souhaitait prendre une initiative, il devait aller voir le responsable de la commission adaptée, qui devait organiser une réunion pour discuter et voter cette initiative. Le compte-rendu de cette commission était ensuite présenté et validé en Conseil de Village. Cela pouvait prendre des semaines !
Et puis un jour, on a tout mis aux oubliettes d'un vieux monde sclérosé. Plus de commission.
A la place, nous avons choisi le système de la sollicitation d'avis.
Un membre qui a une intention doit simplement en parler aux personnes potentiellement impactées par son idée, et à celles dont il estime qu'elles peuvent avoir une expertise, un avis intéressant sur la question. Par exemple, si quelqu'un veut planter un arbre, il peut aller voir une personne dont la maison donne sur le terrain ou il veut planter, et les membres qui s'occupent du design permacole du lieu ou sont connues pour connaître bien le fonctionnement des arbres. Les avis ou conseils qu'il va récolter sont consultatifs, il n'est pas obligé de les suivre. Nous faisons donc confiance a priori en l'individu pour mettre en place une sollicitation d'avis suffisante et agir en son âme et conscience selon ce qui lui semble le plus pertinent. Si une sollicitation est jugée comme mal menée a posteriori par un autre membre, il a la possibilité de saisir le Comité d'Enquête et d'Arbitrage afin que le collectif se positionne. Ainsi, nous apprenons à doser cette nouvelle liberté acquise, et assumons pleinement la responsabilité qui va avec.
Plus besoin de contrôle, de la validation d'un responsable, chacun est considéré comme capable d'agir de manière juste et assume les conséquences de ses actes.
L'exploration commune de ce choix de la confiance en l'individu est une aventure passionnante, qui bouleverse nos représentations et n'a pas fini de nous surprendre.
C'est une affaire à suivre !
Une semaine à Pourgues... et je me sens transformé comme jamais !
Extrait : “J’ai compris à ce moment ce qui fédérait cette communauté : la liberté. Ce n’est pas un petit mot ! La structure et le cadre qui la régit encouragent à exercer au maximum la liberté individuelle sans nuire à la communauté. […] mais l’expérience est allée beaucoup plus loin. L’expérience était humaine ! Durant ces 7 jours, (…)”
Martin Honoré - Il nous a rendu visite au Village de Pourgues dans le cadre de l’immersion “Comment créer une école ou un village démocratique” proposée par Ramïn Farhangi en Juin dernier. Martin relate dans ce témoignage l’expérience qu’il en a retenu.
Je m’appelle Martin, j’ai 36 ans.
C’est après plusieurs années d’enseignement en élémentaire que j’ai réalisé que le système éducatif n’était plus adapté à ma vocation: l’envie d’éveiller et de rendre autonome les enfants.
Je me suis alors passionné pour les pédagogies et les structures d’enseignement alternatives et notamment les écoles de type Sudbury.
Pas de programme, pas de classe d'âge, et un cadre démocratique pour toutes les personnes évoluant dans la structure : enfants, adolescents et adultes.
Lorsque je me suis inscris pour ce stage d’immersion, j’avais déjà découvert Ramïn Farhangi au travers de sa conférence TedX et je savais qu’il était co-fondateur de la première école de type Sudbury en France ; l’école Dynamique à Paris, 14ème. C’est donc avec l’espoir d’obtenir des « tuyaux » pour fonder ce type d’école, de questionner les limites de ce modèle et de développer mon réseau que je me suis rendu à Pourgues.
Durant le stage qui s’est déroulé de façon très organique, Ramïn a été constamment présent pour répondre et guider nos réflexions. Et oui, je n’étais pas seul, nous étions 6, un porteur de projet d’école démocratique et une famille porteuse d’un projet de communauté. Au début, mes questions ne concernaient que les écoles et l’éducation puis très rapidement j’ai réalisé que le Village de Pourgues fonctionne comme une école démocratique mais sans les horaires. Ici, c’est 24h sur 24 que la démocratie s’exerce et que les enfants et les adultes sont autonomes dans leurs apprentissages. Je me suis alors laissé embarquer par l’idée d’une communauté démocratique.
Embarqué mais pas séduit, j’avais beaucoup de peurs, souvent formulées par des questions commençant par « Et si … ». Et si les enfants ne veulent que jouer aux jeux vidéos, et si personne ne veut faire le ménage, et si personne ne paye ses charges ou ne participe à la vie du lieu… Ramïn avait toujours une réponse honnête et souvent illustrée par un fait qui avait eu lieu à Pourgues.
Ensuite, nous avons découvert le conseil de vie, où chaque membre de la communauté peut participer et exprimer sa voix. Cette instance démocratique définit les règles à suivre par les membres. Les membres peuvent avoir tout âge. Certains enfants ont le statut de membre suite à leur demande.
Nous avons aussi assisté à plusieurs comités d'enquête et d’arbitrage, où sont formulés factuellement les actes sur lesquels posent la réclamation, puis y est voté si oui ou non il y a eu transgression d’une règle et, si oui, est voté un arbitrage en conséquence de l’ampleur de l’infraction et de sa récurrence.
Voilà pour le cadre, très proche de celui d’une école Sudbury. Mais qu’en est-il des prises de décisions quotidiennes : si je veux faire un potager, si je souhaite construire un abri de jardin, si je veux animer un atelier au village, si je veux changer la moquette de la salle de lecture… Il me semble très lourd de devoir toujours attendre l’aval de tous ou de voter à la majorité…
Je dois dire que c’est lorsque nous avons abordé le fonctionnement de ces prises de décisions collectives que j’ai eu un moment de révélation. Ramïn m’a alors expliqué la sollicitation d’avis. Pas besoin de voter, pas besoin d’attendre un moment formel, le processus est très souple. Un tableau sur lequel sont affichés les différents projets auxquels pensent les membres permet à chacun de pouvoir laisser une note, un avis. Libre au porteur de projet d’aller en discuter avec certaines personnes, libre à lui de décider quand mettre en œuvre son projet, libre de suivre ou de ne pas suivre tous les avis. LIBRE.
J’ai compris à ce moment ce qui fédérait cette communauté : la liberté. Ce n’est pas un petit mot ! La structure et le cadre qui la régit encouragent à exercer au maximum la liberté individuelle sans nuire à la communauté.
Voilà pour le contenu du stage mais l’expérience est allée beaucoup plus loin. L’expérience était humaine ! Durant ces 7 jours, les échanges n’ont pas été cantonnés à Ramïn mais à tous les membres de la communauté. J’ai joué aux cartes avec certains, j’ai couru avec les enfants, j’ai cuisiné avec d’autres, j’ai débattu, j’ai ri, j’ai jardiné, j’ai lu, j’ai joué de la musique…
À Pourgues, j’ai rencontré des personnes d’une immense générosité, d’une bienveillance rare envers les autres et elles-même, d’une écoute attentive, respectueuses de chaque être, en quête de compréhension personnelle et universelle. J’ai assisté à des moments d’intelligence collective simples, j’ai senti beaucoup de joie, de sérénité et d’amour.
Voici le commentaire que j’ai laissé à chaud le jour de mon départ sur les réseaux sociaux :
« Expérience merveilleuse ! Je suis arrivé afin d’avoir des informations sur la création d’une école démocratique et je repars avec l’envie d’ancrer mon énergie dans l’action et de propager l’amour envers moi et le reste de la création !!!! »
Aujourd’hui, je peux affirmer que cette expérience m’a transformé, intellectuellement et humainement.
Merci encore mes amis et à très bientôt,
Martin
L'éducation démocratique c’est quoi? Episode 2 : L’absence d’intention pédagogique
Ce qui distingue l’éducation démocratique des autres approches est l’absence d’intention pédagogique : tout programme (scolaire ou autre) est abandonné. Les adultes laissent les enfants choisir ce qu’ils apprennent à chaque instant.
Marjorie Bautista - enseignante à l'Education Nationale pendant 5 ans - cofondatrice de l'école Dynamique à Paris- cofondatrice du Village de Pourgues - Marjorie propose des immersions à Pourgues pour les familles qui ont fait le choix d'une éducation démocratique, en école, en famille ou en collectif.
Ce qui distingue l’éducation démocratique des autres approches est l’absence d’intention pédagogique, c’est-à-dire l’absence de programme!
Dans l’éducation démocratique, les adultes partent du principe qu’il existe une quantité indénombrable et indéfinissable de choses possibles à apprendre dans ce monde, que l’être humain est programmé pour apprendre et que les apprentissages se font partout et tout le temps de la naissance à la mort.
Les adultes ne décident donc pas à la place des enfants ce qu’ils sont censés apprendre et ne s’en inquiètent pas.
Ils considèrent l’enfant comme un individu libre et capable d’apprendre ce qu’il veut.
Il est difficile de décrire une notion basée sur “l’absence de”. Ainsi, pour saisir cette idée d’absence d’intention pédagogique, il me semble pertinent de nous pencher sur son contraire : l’intention pédagogique.
Pour l’illustrer, voici quelques situations de vie quotidienne que j’ai pu observer. Les objectifs étant de prendre conscience de l’intention pédagogique dans nos comportements avec l’enfant, de la questionner, de comprendre son origine, de prendre conscience de ses effets et de reconnaître son caractère illégitime et inutile.
Situation 1:
Dans le bus, une maman est avec son fils de 3-4 ans. Elle tient un livre entre ses mains et demande à son fils :
-De quelle couleur est la voiture?
-Rouge!
-Très bien ! dit-elle. Et de quelle couleur est la jupe de la petite fille?
-Verte! répond-il.
-Combien il y a de poussins dans le pré? (…)
Ce petit jeu de questions-réponses dure le temps du trajet, 5 à 6 minutes.
Situation 2 :
Dans la rue, un enfant de 5-6 ans est dans les bras de son papa. La mère les prend en photo puis tout à coup demande à son fils : “J’ai combien de doigts? Regarde, j’ai combien de doigts? Dis-moi combien j’ai de doigts?”
Son fils la regarde et ne répond pas.
J’observe régulièrement ce genre de situation dans mon quotidien.
Pourquoi l’adulte fait-il cela avec l’enfant? Parce-qu’il y a un programme à acquérir à l’école?
Mais l’adulte fait-il la même chose avec un autre adulte? Imaginons, Tom est au bureau avec son collègue, Paul, qui lui explique le nouveau projet. A la fin de sa présentation Tom lui demande : “Paul, peux-tu m’épeler le dernier mot de ta phrase puis me le dire en Russe? Je vérifie tes compétences d’orthographe et de langue étrangère!”
Non. Tom n’oserait jamais prendre une telle posture avec son collègue de travail. La situation serait loufoque. Tout le monde se demanderait quelle mouche l’a piqué. Les adultes n’ont pas d’intention pédagogique les uns envers les autres.
Alors pourquoi en ont-ils avec l’enfant?
Parce qu’ils ont peur que l’enfant n’apprenne pas sans ces contrôles de connaissances?
Parce qu’ils pensent que c’est leur rôle de parent jusqu’à la majorité de leur enfant?
Ou leur droit?
D’une part, les enfants apprennent sans intention pédagogique. C’est prouvé depuis des dizaines d’années avec toutes les écoles Sudbury et les familles non-scolarisées qui ne la pratiquent pas. Leurs enfants ont développé toutes les connaissances et compétences nécessaires pour s’insérer dans la société. Les adultes peuvent donc mettre leurs peurs de côté et jouer un autre rôle avec leurs enfants. Ce n’est pas indispensable aux apprentissages.
D’autre part, la liberté, valeur universelle, s’applique à toute personne quel que soit son âge. L’enfant jouit de cette même liberté. L’adulte, le parent, n’a donc aucune légitimité à lui imposer de tel contrôle.
De plus, cette intention pédagogique présente dans l’esprit des adultes au quotidien, consciemment ou inconsciemment, met l’enfant en situation permanente d’évaluation : à l’école, à la maison, en sortie, au parc... La plupart des interactions qu’il a avec les adultes sont de cet ordre là. Une batterie de test l’attend quotidiennement pour vérifier ses acquis selon le programme scolaire.
Comment vous sentiriez-vous si on vous testait toute la journée?
Pour ma part, je me sentirais sous pression, observée et jugée.
Cet environnement stressant perturbe davantage le processus d’apprentissage au sens large (cognitif et psychologique) qu’il ne le favorise. De nombreuses études le prouvent aujourd’hui. Et au-delà des études scientifiques, il suffit de nous replonger dans notre enfance pour nous souvenir de cet effet “d’évaluation permanente” sur notre personne.
Situation 3 :
Une maman revient de la pépinière et dit à son mari : “Regarde, j’ai acheté des plants de fraises. C’est bien pour les enfants. Comme ça ils apprendront un peu de choses de la nature!”
Il y a là encore une action menée par la mère avec une intention pédagogique derrière. Elle espère que ses enfants apprendront le développement d’une plante. Nous pourrions même aller jusqu’à dire qu’il y a manipulation de sa part.
Aimeriez-vous être manipulés? Pour ma part, non. Cela détruit ma confiance en l’autre et me retire toute envie de m'intéresser à ce qu’il me propose.
Alors pourquoi fait-elle cela?
Pour les nourrir? Pour stimuler leurs apprentissages? Pour avancer dans le programme scolaire?
Ferait-elle la même chose avec son mari? “Tiens, je vais lui acheter un plant de tomate pour stimuler ses apprentissages en biologie végétale. Je pourrai ensuite valider ses acquis dans ce domaine.”
Non, elle ne le ferait pas. Elle laisse son mari gérer librement ses apprentissages. Elle n’a donc pas besoin de faire cela non plus avec ses enfants. Comme leur père, ils vont gérer librement et intelligemment leurs apprentissages.
Qu’elle achète ces fraises pour elle-même et qu’elle les plantes et les cueille avec joie si cela lui en procure. Ses enfants viendront d’eux-même au moment de la plantation et de la cueillette s’ils en ont envie. Et s’ils ne viennent pas… tant pis ou tant mieux ! Ils seront en train d’apprendre d’autres choses au même moment qui auront tout autant de valeur.
L’intention pédagogique n’est pas indispensable pour que l’enfant apprenne.
C’est un héritage que la société scolaire nous a transmis et continue de nous transmettre.
C’est une habitude, un conditionnement qui perdure sous la pression sociale. Et comme tout conditionnement, nous pouvons choisir de le défaire. Nous pouvons choisir de cesser d’interférer dans les apprentissages des enfants. Nos interactions avec eux n’ont pas besoin d’être motivées par l’apprentissage car c’est un processus naturel qui a lieu à chaque instant. Les apprentissages seront d’autant plus efficaces.
Nous pouvons choisir de leur faire confiance comme nous faisons confiance à l’adulte. L’enfant a le droit d’être considéré comme une personne digne de confiance, capable d’apprendre librement tout autant qu’un adulte.
Pour être dans l’absence d’intention pédagogique, à chaque fois que j'interagis avec un enfant, je me demande si je ne suis pas dans une forme de manipulation consciente ou inconsciente.
Je peux alors me poser la question suivante :
“Est-ce que je ferais/dirais la même chose avec/à un adulte?”
Lien vers le premier épisode de la série ici !
Poème d'une immersion à Pourgues
Village de Pourgues s'écrit,
Comme une poésie se lit,
Incroyable histoire se vit. (…)
Camille Lemasson - Suite à son immersion participative à Pourgues du 8 au 17 août 2018, Camille nous partage ce poème…
Village de Pourgues s'écrit,
Comme une poésie se lit,
Incroyable histoire se vit.
En bois, un bol prend forme,
L’œil, tout le corps présent,
De la vie dans la matière.
Regards humain-cheval cheval-humain,
Présence, dialogue, échange,
Ensemble, un chemin se trace.
Rencontre, éveil, déclic,
Éclairage et partage, question sans réponse,
Un magma, une fusion, une nouvelle création.
En tout sens, tout se questionne,
Déconditionne, un nouveau regard,
Des yeux qui s'ouvrent.