L'envers du décor...
Vivre à Pourgues n'est pas juste un rêve et ce n’est pas toujours simple. Il arrive que certain.e.s pensent à nous, en visualisant la carte postale avec ce magnifique paysage vallonné avec pour horizon les Pyrénées, sans imaginer que, toutes ces collines qui nous entourent sont aussi, dans le quotidien, autant de perceptions différentes de la réalité qui viennent se confronter, se juxtaposer et parfois, allez disons le clairement : s’opposer et entrer en conflit.
Oui, nous assumons le fait que nous vivons régulièrement des conflits et nous sommes régulièrement amenés à nous en occuper… Que ce soit de manière individuelle ou collective.
Lorsqu'on vit en collectif on peut difficilement mettre un conflit "sous le tapis" ou derrière la porte, " vivre avec" ou faire comme si de rien n'était... En collectif, nous sommes à la fois associés, amis, voisins, collègues... Et tous ces univers de relations s'entremêlent...
Une bonne partie des tensions et des conflits sont gérés à travers l’amélioration de l’organisation et du cadre, qui sont régulièrement revus et corrigés pour prendre en compte les besoins et assurer l’ambiance la plus fluide et sereine possible. Et puis au delà de ces conflits là, il reste les conflits interpersonnels qui sont les plus complexes à traiter car ils font intervenir des émotions telles que le ressentiment, la colère, la tristesse…et ils peuvent aussi renvoyer à des blessures qui dépassent la réalité de ce qui se vit dans le présent et qui sont « réactivées » par certains miroirs que « l’autre » peut lui renvoyer lorsqu’on entre en relation…
Alors à Pourgues, nous nous sommes engagés collectivement à « marcher » dans le conflit lorsqu’il se présente et ne pas le fuir. Nous nous sommes accordés sur le fait qu’un conflit est systémique et qu’il a trop d’impact sur l’ambiance générale pour ne pas en prendre soin. Aussi la valeur dialogue est une valeur qui nous est apparue essentielle à cultiver et nous sommes allés jusqu’à l’inscrire dans notre règlement, ce qui veut dire que si on refuse le dialogue avec quelqu’un, on peut être appelé à en discuter en CEA (Comité d’Enquête et d’Arbitrage).
Aujourd’hui je vais vous parler du premier outil que nous avons mis en place dans notre collectif pour traiter les conflits interpersonnels, il s’agit d’un outil « curatif » : c’est le cercle restauratif. Si vous ne connaissez pas les cercles restauratifs, je vous invite à écouter Isa Padovani en parler à Sophie Rabhi et Laurent Bouquier dans cette magnifique vidéo par ici à partir de 1h05 . Cette pratique vient de Dominic Barter qui l’a développée dans les favelas au Brésil et elle représente un pilier important de notre fonctionnement à Pourgues.
N’importe qui peut déclencher un cercle restauratif, qu’il soit partie prenante ou simple témoin d’un conflit. Cette personne va solliciter un facilitateur identifié par le collectif. Suite à leur échange, ils vont décider si le cercle va se tenir, et le facilitateur va confirmer s’il veut bien le faciliter. Si oui, l’initiateur va formaliser un fait qui sera “une porte d’entrée” vers le conflit, et qui n’est pas forcément représentatif de l’ensemble du problème.
L’initiateur indique au facilitateur qui il souhaite inviter au cercle, et chaque personne invitée, peut elle même inviter des personnes qui lui paraissent pertinentes pour soutenir la résolution du conflit ou pour soutenir l’un ou l’autre protagoniste. Le facilitateur va rencontrer l’ensemble des invités dans le cadre d’un entretien d’avant le cercle, où chacun va pouvoir s’exprimer sur “la porte d’entrée” .
Lorsque le conflit touche l’ensemble des habitants, nous faisons appel à un facilitateur externe. Nous sommes 4 personnes sur le lieu à avoir suivi une formation à la facilitation avec Michaël Boutin (https://mb13.org). Lorsque nous nous sentons suffisamment détachés et neutres vis à vis du conflit, nous facilitons nous-mêmes le cercle.
L’intention première du cercle restauratif est de rétablir le dialogue : on parle souvent de « livrer sa colline », entendu comme « livrer sa réalité », exprimer les choses telles qu’on les voit de notre point de vue.
Alors attention, il ne faut pas croire que cela se passe de manière tranquille et confortable : cela est au contraire plutôt très inconfortable, car chacun va être amené à exprimer ce qu’il vit de manière authentique, quitte à, comme on dit en CNV, « livrer son chacal »…En plus de ça, on va être amené à reformuler ce que l’autre nous renvoie, même si on est totalement en désaccord et que cela nous paraît injuste, malhonnête ou violent…
Cette première phase où chacun va livrer « sa colline » et être invité à rejoindre la colline de l’autre est essentielle et peut prendre 1 heure, 2 heures parfois toute une journée et vous pouvez imaginer à quel point ce qui « se joue » peut être difficile et délicat :
- se connecter à ses émotions et mettre des mots sur ce que l’on vit, ouvrir son cœur, se livrer même si « c’est pas beau à montrer ».
- accueillir la « colline de l’autre » la décrire par la reformulation même si elle ne nous plait pas et nous remet en cause.
Pendant le cercle, les invités vont être en soutien et vont aider à la résolution. Parfois ils vont agir comme des interprètes qui vont aider les protagonistes à se comprendre, comme s’ils ne parlaient pas la même langue, parfois les invités vont eux mêmes déposer des tensions qui leur appartiennent et qui son liées à la même problématique…
Si cela est possible et quand cela est le moment, le cercle va se conclure sur un plan d’action avec des actions qui peuvent être proposées de manière individuelle ou collective et un rendez vous est pris par la suite pour en faire le bilan.
Le niveau profondeur que nous avons atteint dans le cadre de nos cercles à Pourgues, notamment depuis que nous avons visionné cette vidéo de Isa Padovani en 2020, est bien plus profond que ce que nous avons pu connaître à nos débuts. Il me semble qu’au début, nous étions un peu frileux de livrer notre colline de manière totalement authentique et dévoiler le fond de nos pensées et surtout montrer nos parts les plus sombres...
Aujourd'hui, il semble que nous avons acquis un certain niveau de confiance en nous, mais aussi dans les autres et dans l’outil des cercles. En effet nous nous autorisons à exprimer des choses difficiles à l'autre et sommes plus ouverts à accueillir des choses difficiles ou désagréables qu'on nous renvoie.
Chacun essaye de prendre le recul nécessaire pour être à l’écoute de l’autre, l’accueillir avec sa réalité, reconnaître qu’il n’y a pas UNE réalité, qu’il n’y a pas UNE personne qui a raison et l’autre qui à tort et que chacun fait de son mieux… On œuvre tous à mieux se comprendre, à être indulgent, et accepter et reconnaître l’autre dans sa différence et avec ses imperfections…
Tout ce qui se passe pendant un cercle restauratif est « à vivre ». Il n’y a pas de cercle « réussi » ou « raté ».
Chaque cercle est un grain de sable qui contribue à la paix dans nos relations. Bien sûr cela prend du temps… Tout ne se résout pas du jour au lendemain. Parfois il nous faut vivre plusieurs cercles, et parfois il faut plusieurs mois après un cercle pour que les choses évoluent. Chacun chemine à son rythme… mais ce qui est sûr c’est que nous cheminons tous ensemble vers une hygiène de vie qui inclue le dialogue, l’authenticité, l’écoute de l’autre et la responsabilité…
C’est un travail et un investissement dans la durée qui demande de la patience et… du courage. Oui je pense qu’il faut du courage pour avoir envie de dépasser les conflits et investir autant de temps et d’énergie dans leur résolution plutôt que simplement les fuir ou les esquiver.
Pour finir je citerai Dominic Barter : « Aujourd’hui, j’ai compris que le conflit n’est dangereux que quand on essaie de s’en éloigner ».