Un autre chemin pour Ramïn et Marjorie

On essuie les vents, mais on ne perd pas le nord.

Ce n'est pas une fin. C'est une étape.
Et comme toute étape importante, elle nous engage à parler vrai.

Chères amies, chers amis de Pourgues,

Il y a des lettres plus denses que d'autres, et celle-ci en fait partie. Elle marque une étape importante de notre aventure collective, et annonce un changement : Ramïn et Marjorie, cofondateurs historiques de l’écovillage, prennent aujourd'hui de la distance avec le projet.
Depuis 2016, ils ont porté une vision forte : celle d'un lieu de vie démocratique et éducatif, inspiré du modèle Sudbury, où les enfants grandissent en liberté, et où les adultes construisent ensemble un monde plus juste et plus humain. Leur engagement, leur détermination, leur capacité à oser l'impensable ont permis de faire naître Pourgues. Sans eux, rien de tout cela n'aurait vu le jour. lls ont accompli ce que beaucoup n’osent même pas tenter.

Grâce à ce socle, Pourgues est aujourd'hui devenu l'un des écovillages les plus connus et les plus reconnus de France
Des familles, des porteurs de projets, des chercheurs de sens, des entreprises et des curieux viennent des quatre coins du pays - et même du monde - pour nous rencontrer, découvrir notre fonctionnement, s’inspirer de notre quotidien, et parfois y trouver un tournant décisif dans leur propre vie.

Mais derrière les belles utopies, il y a aussi souvent les réalités du terrain. L'hiver dernier a été difficile. Nous n'avons pas su nous offrir le repos nécessaire. Les tensions se sont accumulées. Malgré nos outils de régulation, nos cercles de parole, nos valeurs d'authenticité, nous avons connu un passage à vide, avec des dynamiques usantes, des incompréhensions, et une perte d’élan collectif. 

Dans ce contexte, Ramïn et Marjorie ont ouvert un processus de discernement, accompagnés par une facilitatrice extérieure pour questionner la posture de chacun dans le projet. Ce chemin d'introspection et d'échanges sincères a conduit à une évidence : leur vision première - celle d'une communauté éducative radicalement libre - ne pouvait plus s'épanouir pleinement dans la réalité actuelle du collectif, qui évolue, s'adapte, et rassemble des habitants porteurs de nuances et de visions diverses.

Le contexte extérieur a accentué cette transition : pressions administratives, durcissement du droit à l'instruction en famille, contrôles successifs (fisc, urbanisme, droit du travail, SAFER, ERP, hélicoptères de la police…), et l'abandon, contraint, du projet d’école, dans un climat tendu pour les écovillages et l'éducation en France. Ces défis ont profondément affecté nos deux cofondateurs, pour qui cette mission éducative représentait bien plus qu'un simple projet : un engagement de vie. Leur éloignement n'est pas un adieu, mais une métamorphose. Ils nous laissent un souffle, un élan, un courage.
Et leur message, que nous relayons ici, parle avec sincérité de leur chemin :

Chèr-es ami-es,

En mai 2016, nous avons initié, avec Yohan, un projet d'écovillage qui avait pour vocation de poursuivre l'œuvre de l'école Dynamique de Paris à l'échelle de tout un écovillage : un lieu où les enfants grandissent en liberté, sans contraintes de programme scolaire, d'emploi du temps ou de classes d'âges.

Depuis plusieurs années, nous avons rencontré des obstacles grandissants et persistants, jusqu'à acter un constat d'échec en mars. Malgré quelques belles tentatives, nous ne sommes pas arrivés à pérenniser la réalisation de ce rêve.

Nous nous sommes dédiés avec enthousiasme et dévotion sur ces 9 dernières années à ce projet, et n'en regrettons pas une seule aujourd'hui, tant nous avons appris sur toutes les dimensions de l'être humain. Nous prenons au moins une année de pause bien méritée, avant de réfléchir à comment employer toute cette expérience à l'avenir, au service de l'évolution de notre société.

D'ici là, nous souhaitons reprendre des forces et nous concentrer sur notre vie de famille. Notre flamme intérieure continue de brûler pour les écoles démocratiques, et la priorité première de notre famille reste d'offrir un tel contexte à notre fils Zeÿa (8 ans), d'où le besoin aujourd'hui d'aller vers de nouveaux horizons.

Il arrive régulièrement, dans les projets d'écovillages, que le collectif et les cofondateurs se séparent sur des désaccords de vision, souvent dans une ambiance intensément conflictuelle. Enrichis de ces expériences passées, nous avons essayé, autant que possible, de ne pas reproduire les mêmes écueils, et nous souhaitons remercier chaleureusement Cécile Noël, qui accompagne le projet dans cette transition, parfois douloureuse, parfois détendue, avec le meilleur effort de chacun-e de vivre cette phase en pleine conscience et responsabilité personnelle.

Ramïn continue son activité d'accompagnant d'écolieux collectifs avec l'équipe de la Coopérative Oasis, ainsi que d'œuvrer pour la liberté d'instruction via l'association Enfance Libre. Marjorie continue son activité de praticienne en maïeusthésie.

Nous souhaitons à toute l'équipe de l'écovillage de Pourgues le meilleur pour la suite, ainsi qu'à l'ensemble des projets du réseau des Oasis et du Global Ecovillage Network. 

Ramïn et Marjorie

Un processus de discernement en cours

Comme vous l'imaginez, ces choix ne se prennent ni sur un coup de tête, ni dans la précipitation.
Au sein de l'écovillage de Pourgues, nous utilisons un outil relationnel évoqué précédemment et appelé processus de discernement. Lorsqu'une personne se questionne sur sa place - ou lorsque des tensions récurrentes apparaissent - ce cadre sécurisé permet de clarifier la situation, en ouvrant un espace de parole sincère et de feedbacks réciproques. Ce processus peut être déclenché par la personne concernée ou par le collectif lorsque cela devient nécessaire.

Dans le cas de Ramïn et Marjorie, c'est eux-mêmes qui ont choisi d’ouvrir ce processus, accompagnés avec bienveillance et professionnalisme par Cécile Noël, facilitatrice extérieure.
Une première réunion a permis à chacun d’eux de partager leurs questionnements, puis au collectif d'exprimer ses ressentis et ses feedbacks. 

Nous avons ensuite poursuivi avec deux journées de travail collectif profond, où nous avons exploré ensemble nos mécanismes individuels et collectifs face aux tensions : attitude défensive, blâme, dérobade, mépris… L'intention n'était pas de "mettre de la tension sur les nœuds", mais au contraire d'y porter attention avec délicatesse, pour comprendre comment dénouer ces fils invisibles qui nous entravent.

Ce cheminement, puissant et souvent émouvant, est toujours en cours. Le processus de discernement s'étale sur plusieurs mois, et nous avons encore deux journées d'accompagnement à venir avec Cécile. L'intention reste la même : transformer ce qui aurait pu devenir un conflit en une opportunité de croissance et d'évolution, pour chacun et pour le collectif.

Le cap reste tenu

Du côté du collectif, cette annonce a résonné fort. Elle nous a remués, invités à regarder à l'intérieur, à reconnaître ce qui fut semé, ce qui s'est noué, et ce qui reste à tisser.
Car au-delà de tout cela, la vie continue ici, avec ses moments simples et ses engagements quotidiens : les sourires des enfants, les repas animés, les réunions constructives, un départ en vacances impromptu, les murs à réparer, la préparation des formations et semaines immersives à venir. 

Tout cela nous reconnecte à notre joie d'être, et à cette volonté tenace d’habiter le monde autrement : vivre ensemble sans hiérarchie, cultiver le lien et la coopération… Rayonner, essaimer, inspirer.

Et même si, dans un monde où planter une graine est devenu un acte politique et où vivre selon ses valeurs demande un courage quotidien, à Pourgues, nous faisons le choix de la transparence, de l'adaptation, mais aussi de la fermeté dans nos convictions. Malgré la houle, le navire avance, conduit par des cœurs sincères et une foi tranquille dans le vivant.

 La vie est un devenir perpétuel. Nos changements ne sont pas des pertes de cap, mais des appels à grandir et à inventer sans cesse notre propre voie.

 Un immense merci à Ramïn et Marjorie d’avoir tenu la barre avec audace et détermination, et pour leur soutien qui continue à souffler, autrement.
Merci également à toutes celles et ceux qui la tiennent aujourd'hui, ensemble, au fil du vent.

Enfin merci à vous toutes et tous, lecteurs, visiteurs, curieux ou fidèles soutiens, d'être là - visibles ou discrets, proches ou lointains - et de faire partie, à votre manière, de cette aventure vivante.

Avec tendresse, joie, force et confiance.

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