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Tout change

Je me dis qu'on devrait tous faire un stage d'art martial dans notre collectif. Parce que le collectif, c'est du sport. D'une certaine façon, on n’arrête pas de se prendre des coups. Et on n’a jamais appris comment les recevoir. Et si on faisait un stage d'art martial, on pourrait peut-être apprendre à mieux les absorber, apprendre à tomber, se relever, et remonter sur le ring.

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Hélène Marquer - habitante du Village de Pourgues. Hélène a étudié la sociologie et le management des médias. Elle s'est vite rendue compte qu'elle ne tiendrait pas derrière un bureau. Elle a donc pris la caméra pour réaliser des vidéos sur la permaculture (pour l'association UCIT), l'éducation démocratique et d'autres sujets qui lui tiennent à cœur. La voici maintenant à Pourgues à la recherche de son artiste intérieur. Au village, elle s'amuse à organiser mariage, Guinguette, coudre des toiles de yourtes et des coussins, et danser quand elle peut !

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En direct de ma jolie maison en bois, face aux montagnes, je sens que c'est le moment de me retrousser les manches. Après quelques postures de yoga, me voilà enfin prête à écrire ces quelques lignes qui peinent à accoucher. Je me sens fatiguée et je me dis que je devrais moi-même utiliser cette affirmation que je m'apprête à taper sur mon clavier :

Toute personne qui intègre un collectif devrait faire un stage de Tai Ho Jutsu.

(ou de kung fu, ou tout autre art martial). Moi je dis Tai Ho Jutsu car c’est l’art martial que j’ai rencontré un jour de pluie dans le bois de Vincennes.

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Le tourbillon

Il y a quelques années (ça ne fait pas si longtemps), je vivais dans le tourbillon de mes émotions, tantôt menée par une forte excitation, tantôt emportée par la peur, allant jusqu'à la dépression. Dépression – excitation – dépression – excitation. A cette époque, j'aimais les sensations fortes et je comprends qu'une de mes attractions préférées demeurait « Les montagnes russes ». Ah ah, ce devait être une simple allégorie de mon état intérieur.

En allant vivre à Paris, grâce à de précieuses rencontres, je me suis mise à la sophrologie puis, à la méditation. Petit à petit, j'affinais la connaissance de moi-même. Encore dans cet état fébrile, je me souviens du jour de mes 28 ans. Cela faisait quelques années que fêter mon anniversaire m'angoissait au plus haut point. Ce jour là avait lieu un stage de Tai Ho Jutsu organisé par mon professeur de sophrologie, tout près de chez moi, dans le bois de Vincennes. J'étais tellement indécise que je n'avais pu donner une réponse claire quant à ma venue. Je m'étais finalement décidée ½ heure avant le stage en pesant le pour et le contre, tantôt à l'aide de mon tarot des couleurs, tantôt de mon pendule, après avoir appelée trois fois une amie pour lui demander son avis et pleuré un bon coup en me morfondant sur mon triste sort et mon pathétisme à ne pas savoir me décider. Bref, comme d'habitude, j'arrivais donc trente minutes en retard, les yeux rouges et en sueur, ayant oublié mon pique-nique et complètement stressée.

Nous étions une petite quinzaine, et nous nous sommes réunis, deux par deux, sous les arbres. Je me suis retrouvée face à un gros gars qui faisait deux têtes de plus que moi, bien baraqué et videur de boîte de nuit. Littéralement, nous devions nous exercer à nous donner des coups. Pour info, le Tai Ho Jutsu est une synthèse d'arts martiaux créée spécialement par la police japonaise. Autant dire que ça envoie du lourd. Pour la première fois, je me suis littéralement mise à prendre des coups (et à en donner accessoirement). Ce fut un choc. Au début, ça faisait mal, mon corps n'aimait pas ça. Au bout de la troisième fois, cela ne me faisait plus aussi mal. J'apprenais à accepter le choc. Je ne veux pas dire ici que l'idée était de devenir sado-masochiste (quoique je n'ai pas suffisamment étudié la question pour savoir si cela me plairait). Mais plutôt d'apprendre à prendre des coups. A un moment, mon enseignant, m'a aussi dit que j'avais tendance à anticiper les coups alors que l'on ne m'attaquait même pas.

Le soir, dans mon lit, j'étais toute courbaturée mais pleine d'énergie. Ce stage m'avait tellement reboostée que j'avais passé une belle journée d'anniversaire. Le yeux fixés au plafond, je faisais le bilan de ce stage.

J'ai alors réalisé deux choses :

La première : je n'ai jamais appris à prendre des coups sans avoir mal. (Et accessoirement, je n'ai jamais appris à tomber.)

La deuxième : mon corps parle pour moi. Ma posture physique dans le combat reflète ma posture dans la vie. J'anticipe des coups alors que personne ne m’attaque.

Voilà donc pourquoi je me dis qu'on devrait tous faire un stage d'art martial dans notre collectif. Parce que le collectif, c'est du sport.

D'une certaine façon, on n’arrête pas de se prendre des coups. Et on n’a jamais appris comment les recevoir. Et si on faisait un stage d'art martial, on pourrait peut-être apprendre à mieux les absorber, apprendre à tomber, se relever, et remonter sur le ring.

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Je n’arrête pas de prendre des coups ? Comment ça ?

Ici, je ferais ma petite théorie à moi qui vaut ce qu'elle vaut. J'ai constaté que quand je participe à un CoVi (Conseil de Village) ou un CEA (Comité d'Enquête et d'Arbitrage), ou d'autres réunions collectives, je ressens beaucoup d'émotions. Il m'est même arrivé à plusieurs reprises de sortir et d'être épuisée comme après un combat sur un ring de boxe. Aussi, dans les interactions du quotidien, j'ai sans cesse l'impression de recevoir un grand nombre de messages : les nouvelles idées de certains ; leurs appréhensions ; leurs peurs ; leurs projets ; leurs espoirs ; leurs priorités etc.

Chacun de ces messages peut-être vécu pour moi comme un coup qu'on me donne. Ces nouvelles données viennent donner un coup de pied dans la fourmilière de mon corps, bouleverser mes évidences, mes visions, les projections que j'avais faites.

J'ai constaté que la première attitude que j'ai face à une nouveauté, dans 80% des cas, c'est : de la peur. B. et J. veulent construire leur maison et il y aurait un chantier participatif avec 30 personnes. Feu rouge, feu rouge, feu rouge. Un grand feu rouge s'allume au croisement de la 25è avenue et la 10è rue de mes neurones. Une foule de questions se précipite à la porte de ma bouche « mais comment on va faire ça ? Ce fera trop de monde, pas les infrastructures etc. ». Le scénario catastrophe hollywoodien se met en marche dans ma tête avec un tremblement de terre à la fin et des dinosaures qui surgissent. Bref, je me rétracte. Cela vient bouleverser la vision que j'ai à ce moment là de la vie à Pourgues. Une nouvelle donnée surgit et mon système est grillé. Ça fait des étincelles, au secours, je vais exploser !

A ce moment là, mon esprit aurait envie d'un carillon japonais. Aucun bruit, juste le bruissement doux du vent dans les feuilles de bambous. Calme et stabilité. Que rien ne bouge, que rien ne change. Cela m'est tellement rassurant. Petit panda, je pourrais simplement me balancer, accrochée à mon bambou.

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Mais je suis toujours rattrapée par le contraire : tout change tout le temps !

Jeudi. Il fait beau. Pour une fois, je suis seule dans la cuisine. Il est tout juste 16h. Je viens de finir le ménage, la cuisine est nickel. J'ai même nettoyé les plaques de cuisson, astiqué les plans de travail avec le vinaigre à la framboise. Ils brillent. J'ai fait du rangement, plus rien ne traîne. Tout est dans la boîte « objets trouvés ». Je suis tellement contente. Plénitude, petit soupir de réussite. Appuyée sur mon balais, je contemple les montagnes. Je suis tellement bien.

Je vais faire une sieste. Le repos du guerrier est bien mérité.

Je reviens dans la cuisine. Coup de poing.

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Le commentateur prend le micro « Hélène est tombée KO sur le ring, va-t-elle se relever ?» L'arbitre montre son pousse et dit le premier chiffre : « 1 seconde ! ». La foule attend, en suspens.

Hélène regarde le plan de travail. Il est recouvert de farine. Une douce pluie de pâte à gâteaux goutte, des ustensiles sur la surface précédemment brillante. J. fait un grand sourire à Hélène « Je prépare un brownie pour le goûter ! ».

L'arbitre montre alors l'index et prononce le second chiffre : « 2 secondes, Hélène va t'elle se relever ? ». Hélène regarde la scène, regard dirigé vers le frigo : bébé Z, cul nul, lui sourit et se met à faire pipi sur le sol de la cuisine.

L'arbitre montre alors le majeur et prononce le troisième chiffre : « 3 secondes ! ».

Hélène ne se relève pas, c'en est trop pour Hélène, « Définitivement KO », crie l'arbitre dans le micro.

Oui, dans ces moments là, je suis définitivement KO. Et dans ma tête se bousculent des peurs, des colères, des exaspérations. Je prends un coup et je me rajoute de grosses baffes. Et une, et deux et trois ! Et même un bon coquard pour la route.

« J'ai fait tout ça pour rien ! Personne ne respecte rien ici ! Je déteste les gens qui font les gâteaux l'après-midi juste après le ménage. Définitivement, je hais les bébés. Puisque c'est comme ça, je n'en aurais pas. Et je déteste ces parents qui ne mettent pas de couches aux bébés. Et je déteste la vie en collectif car on ne peut vraiment pas compter sur les autres pour faire attention ! Et puisque c'est comme ça, je vais me casser et vivre toute seule dans une cabane en Alaska. Au moins je serais tranquille et personne ne me dérangera, jamais. Je ferais comme je veux, et merde ! »

Mais en fait, je voudrais quoi au juste ? Que la cuisine ressemble à un musée dans lequel chaque ingrédient serait sous une cloche en verre. Le sol éternellement brillant. Les pots éternellement remplis. Personne ne salirait le plan de travail avec de la farine, le sol avec de l'eau ou du pipi.

En fait ce serait génial car il n'y aurait pas un chat dans la cuisine et ça ne bougerait pas. En fait il n’y aurait même pas de cuisine et il n'y aurait personne. En fait, il n'y aurait pas de vie. Rien.

En fait ce serait juste euh.... mort.

Mort ???

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Ok donc je dois accepter que tout change tout le temps car : c'est ça la vie.

Quand je suis seule dans mon espace, c'est facile à vivre. Chaque objet, il n'y a que moi qui le déplace. Ça n'impacte que moi si je laisse de la vaisselle traîner dans l'évier et je peux même laisser pourrir des ingrédients au frigo.

A partir du moment où je partage mon espace avec quelqu'un commencent à surgir plus d'incertitudes et de chaos dans mon ordre à moi : des objets, du désordre s'ajoutent. Je commence à prendre des coups dans mon univers contrôlé. Ce bel apollon dans mon lit bouleverse mon rythme de sommeil car il ronfle. Ça, c'est juste quand on est deux. Puis, on va vivre en collocation et constater que les incertitudes et les changements augmentent, puis en famille, avec l'arrivée des enfants.

Et puis vient l'étape collectif. Nous vivons à trente. Le changement se vit au quotidien puissance trente. Et il faut être bien accroché. Des fois je me demande même si un être humain est capable de s'adapter à autant de nouveautés au quotidien. A trente individus, l'univers spatial change en un rien de temps : il permet de rendre la bâtisse nickel en deux heures avec cinq personnes qui font le ménage. Mais il multiplie aussi en un rien de temps le nombre de tasses oubliées sur une table. Et ça donne vite une impression de chaos.

Ici je parle juste des effets matériels. Tout à fait visibles et évidents. Ajouter à cela les réflexions, les idées. Nous sommes trente individus différents avec nos envies différentes, nos idées différentes, nos émotions différentes. Au quotidien ne cessent de se succéder les nouvelles priorités des uns et des autres à l'agenda : par mail, dans les discussions etc ; ne cessent de se confronter les émotions ; les aspirations des uns et des autres.

Et des fois je me sens submergée : trop de nouveautés, trop de coups de pieds dans ma fourmilière. Ou peut-être que je devrais comparer cela à des tremblements de terre. La vie en collectif est pleine de petits tremblements de terre allant de 1 à 6 sur l'échelle de Richter. « Et nous avons des problèmes financiers ce mois-ci ! ». Le commentateur radio déclare : “Séisme d'amplitude 5 sur l’échelle de Richter. L'épicentre est situé en plein cerveau d’Hélène.” Ahhhhhh !!!

Je comprends donc pourquoi les entreprises fonctionnent avec une structure figée, une organisation muselée, une hiérarchie inébranlable. Parce que c'est bien plus simple pour ceux qui les gèrent, ça évite les tremblements de terre. Ou bien, on évite peut-être de considérer les coups que certains se prennent.

En fait, la vie, c'est le changement ! Chaque jour, chacun n'arrête pas de changer, dans ses centres d'intérêts, ses envies, ses émotions. Chacun grandit, vieillit, s'enrichit, se débarrasse de choses, en choisit d'autres. Tout change tout le temps. Rien qu'à regarder les arbres ou les fleurs, tout change tout le temps autour de nous dans la nature, rien de plus évident. Il pleut, il vente, il fait soleil, il neige.

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Entraînement au changement pour tous !

Je me dis que ça mérite d'être entraîné. A Pourgues, on est déjà pas si mal ! Une des premières choses qu'on apprend ici c'est que n'importe quelle règle peut changer. Tout peut évoluer. Ce n'est pas parce qu'on s'est accordé sur quelque chose il y a trois mois que cela reste gravé dans le marbre des tables de loi de Pourgues pour les trois prochaines générations. D'ailleurs, Liliana, notre responsable du CoVi réimprime notre règlement chaque semaine. Il n'est jamais le même.

De mon côté, j'essaie aussi d'avancer. Avant (et cela arrive encore), je pouvais réagir au quart de tour sur une nouvelle idée : la prendre très au sérieux émotionnellement, laissant déborder ma peur ou mon appréhension. Ou bien j'avais besoin de m'investir dans chaque nouveau sujet, suivre tous les dossiers. Mais je me suis demandée si ce n'était pas une forme de contrôle. Et ça faisait trop pour moi.

Tout change tellement, que je ne peux pas suivre tous les trains en marche. J'ai donc décidé de rester sur le quai plus souvent ; et de lâcher prise. Si cela est vraiment important pour d'autres, je leur laisse le soin de le faire et leur fais confiance. En tous cas, je choisis de moins réagir au changement. J'esquive les coups. Ou je les absorbe sans qu'ils ne provoquent de douleur en moi. Ou bien j'observe les combats, sur le ring, au loin.

Voilà pourquoi je me dis que le Tai Ho Jutsu pourrait nous aider à absorber les nouveautés. Ça pourrait être une base pour aborder les coups d’une autre manière qu’en réagissant : « Ça fait trop mal, ça va me casser le bras ! ». On apprendrait aussi à tomber. Pour se rendre compte que ce n'est pas si terrible. On verrait peut-être aussi qu'on peut acquérir des réflexes qui nous permettraient de ne pas être autant affectée par les coups et par la chute.

Parce que si je me laisse tomber comme un sac à patates sur le pavé, je risque de me casser quelque chose. Mais si je tombe et me mets en boule, je n'en récolterais que quelques bleus, rien de plus. Et je me releverais, prête à remonter sur le ring pour un nouveau combat.

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NB : J'avoue que cet article m'a un peu été soufflé pendant l'une de mes méditations. Pendant ce long stage de Vipassana, à force d’observer ma respiration et garder le silence, la pratique m’amène à découvrir cela : « Si tu observes la réalité dans ton corps, tu observes que tout change. Chaque sensation apparaît puis disparaît. Alors ça ne sert à rien d'y réagir ! » Il m'a semblé évident de faire le parallèle avec Pourgues, car, mine de rien j'ai une fâcheuse tendance à réagir... Mais bon, j'apprends...

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Madame l'Inspectrice, créons une école démocratique publique en Ariège

Chère Madame, Notre échange du vendredi 23 mars fut d'une transparence et d'une sincérité étonnantes. Il a confirmé pour moi l'intérêt de se rencontrer pour coopérer sur nos intérêts communs, plutôt que de rester repliés sur nous-mêmes avec nos méfiances. Cet entretien m'a apporté de nouvelles clés de compréhension des enjeux que le service public vit en Ariège, et qui me préoccupent également. Le cadre que (…)

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Ramïn Farhangi - cofondateur de l'école dynamique et du Village de Pourgues. Auteur du TEDx et du livre "pourquoi j'ai créé une école où les enfants font ce qu'ils veulent" (à paraître chez Actes Sud en septembre 2018). Ramïn propose une formation pour les porteurs de projets d'écoles et de villages d'inspiration Sudbury.

A l'attention de Madame l’Inspectrice de l’Éducation Nationale


Chère Madame,

Notre échange du vendredi 23 mars fut d'une transparence et d'une sincérité étonnantes. Il a confirmé pour moi l'intérêt de se rencontrer pour coopérer sur nos intérêts communs, plutôt que de rester repliés sur nous-mêmes avec nos méfiances.

Cet entretien m'a apporté de nouvelles clés de compréhension des enjeux que le service public vit en Ariège, et qui me préoccupent également. Le cadre que vous avez posé plusieurs fois pour guider notre discussion (les 3 niveaux de responsabilité) m'a inspiré, et je vais le reprendre ici pour proposer des solutions qui pourraient mener à un résultat où tous les acteurs sortiraient gagnants.

(note : pour faire court, lorsque je mentionne "nous" ou "les familles" dans ce qui suit, je parle spécifiquement des "familles ayant fait le choix d'une approche éducative notamment inspirée de Sudbury Valley School, où les enfants évoluent dans un milieu immersif de vie collective en démocratie, sans qu'on leur propose le suivi d'un programme scolaire")

1) La responsabilité des familles

Nous avons identifié l'origine du désaccord profond qui persiste quant à deux visions possibles de l'exercice d'une responsabilité d'instructeur. L'une propose qu'instruction rime avec enseignement par un expert et suivi progressif des apprentissages ; l'autre propose que l'apprenant est déjà doté de dispositions spontanées pour prendre en main son instruction, selon une démarche qui lui est propre. L'une propose qu'une instruction sur certains domaines ne peut se faire que lors de certains âges sensibles ; l'autre propose qu'il n'y a pas d'âge plus propice qu'un autre, quelle que soit la compétence travaillée, y compris pour la motricité fine, la lecture et l'écriture. Ces deux hypothèses radicalement différentes expliquent pourquoi d'une part, il est nécessaire d'exercer un contrôle permanent de l'instruction, et que d'autre part, on peut laisser l'enfant vaquer à ses occupations et vivre avec la confiance qu'il apprendra en temps voulu tout ce qu'il a besoin d'apprendre pour devenir un citoyen libre.

De notre côté, il n'y a donc pas (je vous cite) "de malentendu entre éducation familiale et instruction". Notre confiance en l'enfant pour diriger sa propre instruction se base sur une pratique qui a une longue histoire en France (notamment au sein de l'école publique, voir Bernard Collot et l'école du village de Moussac), et partout dans le monde. Nous la pratiquons aujourd'hui en âme et conscience, et Summerhill nous donne au moins un siècle de recul. Nous assumons totalement les conséquences d'avoir choisi une pratique aussi différente de la norme établie. Certains y voient un pari risqué sur l'avenir de nos enfants, alors que d'autres voient l'approche conventionnelle comme un pari tout aussi risqué.

La notion de "risque" et de "responsabilité en matière d'instruction" est donc relative. Il est ainsi raisonnable d'accorder un respect égal à la conception que chaque individu s'en fait. Je suis ravi que nous ayons pu atteindre un tel niveau de clarté, de tolérance et même de respect vis-à-vis de nos visions respectives, si différentes, et dont la coexistence pacifique est pourtant tout à fait possible et bénéfique au sein d'une République inclusive d'une pluralité de convictions et de sensibilités.

2) Votre responsabilité d'inspectrice

Notre échange a eu un enjeu crucial de mon point de vue : celui de clarifier le niveau de confiance et de liberté qu'accorde l'administration française aux familles. J'ai compris des choses que je n'avais jamais entendues de la bouche d'un représentant de l’État, qui viennent utilement clarifier que notre choix éducatif est tolérable, malgré les mises en gardes que vous vous devez de nous apporter.  

En fait :

  • Un premier avis négatif est presque systématique lorsque vous constatez cette approche éducative, car dans l'absence de certains éléments demandés par votre protocole (traces écrites, suivi précis de la progression de l'enfant...), c'est tout simplement la logique à suivre (je note, au passage, que ce protocole n'est pas suivi partout en France, mais plutôt spécifique à l'Ariège). Si vous donnez un avis positif malgré ces manquements, cela pourrait vous être reproché. En essayant de voir le côté positif de cette contrainte administrative d'un deuxième rendez-vous, on pourrait dire que c'est une manière de se voir plus souvent afin de cultiver notre lien de confiance.

  • Un deuxième avis négatif est aussi systématique lorsque vous n'avez pas eu d'éléments supplémentaires (traces écrites et suivi demandés) et que vous n'avez pas pu constater une progression de l'enfant sur les compétences évaluées sur les exercices. Une fois de plus, si vous donnez un avis positif, on pourrait vous reprocher de ne pas faire votre travail correctement. Le plus souvent, vous êtes conciliantes et vous mettez la famille en demeure jusqu'à l'année d'après, en lui demandant de vous fournir suffisamment d'éléments la prochaine fois, en préparant un peu de français, de maths, de travaux écrits, d'exposés, etc.

  • L'année d'après, vous arrivez parfois à obtenir cela de la famille, mais en général, elles ne sont pas prêtes à demander à leur enfant de faire des choses uniquement pour correspondre aux attentes d'une inspection, car ce serait compromettre le principe de base de notre approche : que l'enfant a les pleins pouvoirs sur sa propre vie et agit sur la base de sa motivation intrinsèque. Ne pouvant toujours pas constater d'éléments suffisants et dans l'échec des négociations avec la famille, cela peut mener à une injonction de scolarisation.

  • Désobéir à une injonction de scolarité soulève tellement d'incertitude et d'anxiété chez la famille (tribunal ? amende ? gendarmerie qui amène l'enfant à l'école de force ? prison ? placement de l'enfant ?...) que celle-ci peut aller jusqu'à s'exiler pour cesser de vivre dans la peur. Décision hâtive, vu que le pire qu'une famille puisse subir est (je vous cite) de "l'enquiquinement administratif". L’État n'a jamais séparé un enfant de sa famille pour une instruction supposément insuffisante. D'ailleurs, lorsque le climat familial et le milieu socio-culturel de l'enfant est favorable, il ne vous viendrait jamais à l'idée de saisir le procureur. Bref, la menace qui plane de séparer l'enfant de la famille est un épouvantail ; les parents en ont peur comme on peut avoir peur des fantômes. Ceci dit, c'est tellement tabou qu'on n'ose jamais en parler et mettre au clair que ce sort n'est réservé qu'à des parents pratiquant de sévères maltraitances sur leurs enfants ou un endoctrinement sectaire. Je suis bien content que l'échange de vendredi ait permis de mettre cela à nu de manière aussi claire.

Il m'est apparu que vos avis défavorables sont principalement guidés par la crainte que votre hiérarchie ou qu'une famille se retourne un jour contre vous pour avoir insuffisamment joué votre rôle, visant à fournir les suffisantes mises en garde aux parents faisant (selon vous) des paris éducatifs risqués et encore peu prouvés. Si ceux-ci se révèlent être un échec, vous risqueriez peut-être des conséquences.

Or, tout ce procédé cause des dommage collatéraux qui font que tout le monde est perdant. Vous êtes bien au courant que de plus en plus de familles ne déclarent pas leur enfant, cessent de recevoir vos recommandés, font semblant d'habiter ailleurs, refusent le contrôle ou ajournent sans cesse chaque rendez-vous. Par ailleurs, nombre de familles qui répondent présent vous mentent par peur de l'avis défavorable, comme des élèves qui trichent au contrôle. Vu l'ambiance habituelle des inspections, où, comme pour Mesdames Reboulleau et Rouyer l'année dernière, les familles se sont senties peu écoutées voire jugées sur leurs choix éducatifs, nombre d'entre elles ont maintenant peur de vous ou se sentent vexées. Elles redoutent l'inspection et tous les moyens sont bons pour l'éviter.

Or, si toutes les inspections se passaient comme celle de vendredi, il n'y aurait plus aucune raison de se fuir les uns les autres. Il n'y a plus de raison d'avoir peur les uns des autres. Je vais d'ailleurs encourager toutes les familles qui vous évitent à reprendre contact avec vous et restaurer un contact, pour que vous saisissiez justement l'ampleur du phénomène et le nombre de témoignages allant dans un sens similaire à ceux que vous connaissez déjà. Les familles seraient par ailleurs davantage sensibilisées à vos préoccupations. Cela permettrait d'établir une communication utile qui nous permettra à tous de mieux nous comprendre les uns les autres.

Côté familles, le plus important pour nous est de savoir que nous pouvons vivre avec la certitude absolue que nos enfants ne seront jamais placés, et que les pires conséquences que nous puissions vivre sont des séries de courriers et de rendez-vous administratifs. Les épouvantails s'envolent. Un grand merci pour cette mise au point !

3) Notre responsabilité conjointe

Venons-en maintenant au sujet qui nous préoccupe le plus à notre niveau : celui des conséquences plus systémiques du mouvement social dont nous parlons ici. D'après une récente discussion entre des représentants de EUDEC France et la conseillère du Président de Commission Bruno Studer, la préoccupation est bien présente au niveau national ; les députés de la Commission Éducation de l'Assemblée Nationale questionnent le phénomène. De plus en plus de familles et de professionnels quittent l'école publique. Pourquoi est-ce que les fuites s'accélèrent ? Quelles sont les motivations et les besoins de ceux qui partent ?

En Ariège, vous citez un contexte particulier, où l'insatisfaction vis-à-vis de l'école publique est particulièrement grande, malgré une offre pourtant diversifiée, incluant même des écoles Montessori. Malgré une certaine dose de démocratie et de pédagogies actives, malgré les efforts de l'éducation nationale pour se diversifier et se renouveler, on dirait que quelle que soit la proposition actuelle de l'école publique, force est de constater que nombre de familles n'en veulent pas. Toute tentative de les convaincre d'y réinscrire leurs enfants étant vaine.

Pour ce qui est de notre réseau de familles, ce n'est pas étonnant. Nous ne voulons pas de programme scolaire. Nous voulons une école où il n'y a ni attente de la part des adultes, ni évaluation. Le seul cadre qui nous est proposé pour cela aujourd'hui est celui des écoles hors contrat. Je n'ai pas l'intention, pour ma part, d'ouvrir une telle école, mais je constate que si j'entreprenais cela un jour du côté de la Vallée de la Lèze, je pourrais facilement réunir une cinquantaine d'élèves dès la première année.

Si j'avais le projet d'ouvrir une école comme l'École Dynamique sur ce territoire, et que j'avais le choix entre le public et le privé, je choisirais sans hésiter de travailler pour l’État. D'ailleurs, si ça ne tenait qu'à moi, les 30 écoles démocratiques en France seraient publiques plutôt que hors contrat. Mais force est de constater qu'il n'existe que 2 écoles démocratiques publiques aujourd'hui (le LAP et le Lycée Expérimental de Saint Nazaire), réservées aux plus de 16 ans, et s'adressant principalement aux décrocheurs. Il n'existe pas d'école pour les moins de 16 ans s'adressant à des familles qui font ce choix par adhésion et non par défaut.

Pour ce qui est du projet d'expérimentation publique à Grenoble que j'avais commencé à vous raconter, elle ne verra finalement jamais le jour, malgré le soutien du maire de Crolles, un local à leur disposition, le soutien de nombre de sénateurs et députés (dont Olivier Veran et Jean-Claude Carle). Les acteurs de l’Éducation Nationale ne souhaitaient pas le lancement de ce projet : opposition du côté de l'Académie de Grenoble, de la DGESCO et du cabinet du Ministre. JM Blanquer serait partant pour des expérimentations venant d'initiatives citoyennes et il aurait été prêt à émettre un décret dans ce sens, mais il ne peut pas agir sans le soutien des acteurs de l'EN sur le terrain.

Suite à notre entretien de vendredi, j'ai eu un moment d'Eurêka. La vallée de la Lèze et Grenoble sont des contextes différents. À Grenoble, il n'y a pas une telle population d'enfants qui évoluent hors de tout parcours balisé. Je pense que vous comme moi, plutôt que de les voir déconnectés de toute structure institutionnelle, nous souhaitons voir ces enfants fréquenter une école où ils saisiraient les enjeux de la vie citoyenne, en République ; où ils apprendraient ce qu'implique une vie en liberté avec les contraintes inhérentes à la vie collective, avec ses règles et les conséquences des actes de chacun sur le groupe. À l'heure actuelle, l'apprentissage du vivre-ensemble en démocratie ne leur est pas accessible, et nous craignons des phénomènes de repli sur soi et de méfiance de l'institution. Nous avons maintenant le choix :

  • Continuer d'essayer de convaincre les familles de revenir vers les programmes scolaires, de changer leurs choix éducatifs ou leur volonté de monter des structures comme l'école Pleine Nature. J'ai le sentiment que cette stratégie ne peut mener qu'à un conflit stérile et sans issue. Elle ne ferait que renforcer la fracture entre l'institution et ces familles, et le suicide social qui va avec.

  • Travailler ensemble pour élargir l'offre publique à des approches comme celle de l'École Dynamique et l'école Pleine Nature, qui répondent à un besoin et une claire volonté des familles. Une école avec une approche qui ne vous convaint pas vaut mieux que "pas d'école du tout".

Notre entretien de vendredi inspire une idée sur laquelle nous pourrions réfléchir et œuvrer ensemble : celle d'ouvrir un projet d'expérimentation publique dans la Vallée de la Lèze. C'est une opportunité de réintégrer de nombreux enfants déscolarisés au sein du système public, et éviter qu'ils ne se rabattent sur des initiatives privées répondant à leur besoin. Par ailleurs, l'IEF concerne nombre de familles pauvres qui n'ont pas les moyens d'accéder à une école privée. 36% de l'effectif de l'école Pleine Nature est issue de l'IEF ; je suis convaincu que si on rendait une école similaire accessible à tous les milieux économiques, ce chiffre serait encore plus élevé. Ne serait-ce pas une amélioration, de votre point de vue, que ces familles puissent accéder à une école, même si elle propose une approche dérogeant aux programmes, plutôt que d'être en IEF ? Je pense que l'IEF présente de grandes qualités et que ce cadre devrait toujours rester une option disponible, mais il me semble que vous et moi croyons aux bénéfices de vivre une expérience collective durant l'enfance, organisée selon des règles qui ont passé l'épreuve du temps.

Cette expérimentation permettrait aussi de contribuer à la recherche en sciences humaines et sociales, offrant aux chercheurs un terrain pour mener des travaux inédits. J'ai déjà en tête de nombreux détails concernant la mise en œuvre de ce projet, et je suis motivé pour travailler avec vous sur une telle réalisation.

Ceci dit, n'allons pas plus vite que la musique. Que diriez-vous d'en discuter d'abord dans un cadre plus informel ? Si vous êtes disponible pour faire le chemin, vous êtes invitée à venir à Pourgues, Le Fossat. Ce serait aussi l'occasion de faire connaissance plus directement avec ce lieu, plutôt que par l'intermédiaire des Renseignement Territoriaux. Qu'en pensez-vous ?

Bien à vous.

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HOMMAGE

Ce soir, mon cœur tremble… d’amour et de passion! J’ai trouvé ma famille. Au cœur de la jungle, j’ai trouvé ma tribu sauvage. Celle que j’admire, que j’aime et qui me pousse à grandir chaque jour dans mon authenticité absolue. Au départ (…)

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Liliana Choque - Artiste-auteure, compositrice. Après avoir passé 1 an et demi en Australie et Asie du Sud Est, elle s’installe à Paris durant 9 mois et contribue activement au développement de l’Ecole Dynamique (Paris, 14) avant de s’installer définitivement au Village de Pourgues en mars 2017. Aujourd’hui, elle compose et tente de s'investir pleinement dans ses projets artistiques : la musique et l'écriture sont ses plus grandes joies.

https://lilianachq.wordpress.com

Ce soir, mon cœur tremble… d’amour et de passion! J’ai trouvé ma famille. Au cœur de la jungle, j’ai trouvé ma tribu sauvage. Celle que j’admire, que j’aime et qui me pousse à grandir chaque jour dans mon authenticité absolue.

Au départ, c’était juste une idée qui me traversait la tête : celle de pouvoir contribuer à la création d’un monde meilleur. Je réalise que je suis en plein dedans. Créer un monde meilleur? Un monde dans lequel je me sens bien, en harmonie avec mon corps et mes valeurs.

Mon cœur dit oui, mon esprit dit oui. Je me réjouis!

Pourtant, ce ne fut pas si facile de trouver ma place. Il y a de cela quelques mois, je me questionnais sur le sens de ce projet : Comment en étais-je arrivée là? Quel est la raison pour laquelle j’ai fait le choix d’être ici? Quel en est le sens pour moi? J’avais besoin de me souvenir. Le doute est arrivé, ma vérité m’a rattrapée.

Je veux être libre!

Car bien qu’il y ait des instants dans lesquels je puisse me sentir ivre et enfermée, je sais qu’ici, je peux préserver ma liberté. Celle de penser, d’agir, de vivre, de partir, de revenir. De douter, de succomber, de tomber, se relever, de tomber encore. De courir, de fuir, de bouger!

Je sais qu’ici, je peux me réveiller à toute heure, manger à toute heure, me coucher à toute heure.

Je sais qu’ici, quoi que je fasse, je me façonne à mon image. Ma liberté dépend de moi. Elle m’est ce qu’il y a de plus précieux, et celle des autres m’inspire et me réjouit tout autant que la mienne.

Je sais qu’ici, je peux m’asseoir et méditer. Je prends le temps qu’il faut, peu importe les attentes de chacun. Je peux parler de tous les sujets. Entreprendre ce qui me plait. Respecter les autres et être respectée en retour, dans l’amour, la confiance et l’envie constante de progresser. L’envie d’aimer. L’envie d’aider. De jouer. De remercier. De créer.

Je sais qu’ici, je peux chanter à tue-tête, à voix basse, seule, ensemble, à la guitare, et j’en passe.

Oui! Je peux m’exprimer!

J’ai de la chance, ici. J’ai trouvé l’Amour de ma vie. D’individu seul, je suis maintenant 30. Nous sommes unis. L’unité dans la diversité. Voilà ce que m’inspire notre grande famille, notre tribu. Cela me donne des ailes! Je m’envole vers de nouvelles idées, de nouveaux projets et une force certaine s’anime en moi pour continuer en ce sens et me projeter toujours plus loin dans ce cadre de bienveillance.

Pourgues, tu es non seulement ma terre d’accueil, mais aussi ma source des possibles. Tu permets à mon être de se déployer, d’ouvrir mes sens et de me donner une compréhension du monde différente de celle que j’avais.

En nous accueillant ici, moi et mes amis, tu nous permets de nous unir et de bâtir une nouvelle société : Celle d’aujourd’hui et du futur, celle de la Liberté. Et de nous donner l’intelligence et l’assurance de le faire… ensemble!

• Guinguette de Pourgues - Septembre 2018 •

• Guinguette de Pourgues - Septembre 2018 •

Merci à nous de nous investir et de nous entraider, de nous donner les moyens et la capacité, le temps et l’énergie de nous construire et de nous consolider. Co-créer dans la diversité est notre plus grande force. Une grande richesse.

À tous les habitants de Pourgues : je vous loge au creux de mon cœur et vous remercie tendrement. Car dans ma vie vous résidez, je réside en la vôtre.


En nous, réside la Vie. Merci!
-Liliana

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Guinguette powa, j'ai la foi

Je me souviens, c'était à Paris. Il y a deux ans, sûrement. Une grande feuille de papier blanc. Plusieurs cercles concentriques. Et nous imaginions ce que nous voulions mettre dedans. Je me rappelle avoir posé les mots « guinguette » et « musique » et « danse » et « bar ». J'imaginais déjà les ampoules colorées autour d'une piste de danse, à la nuit tombée. Je n’aurais pas pu croire que ça arriverait aussi vite.

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Hélène Marquer - habitante du Village de Pourgues. Hélène a étudié la sociologie et le management des médias. Elle s'est vite rendue compte qu'elle ne tiendrait pas derrière un bureau. Elle a donc pris la caméra pour réaliser des vidéos sur la permaculture (pour l'association UCIT), l'éducation démocratique et d'autres sujets qui lui tiennent à cœur. La voici maintenant à Pourgues à la recherche de son artiste intérieur. Au village, elle s'amuse à organiser mariage, Guinguette, coudre des toiles de yourtes et des coussins, et danser quand elle peut !

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Maquettes en papier

Je me souviens, c'était à Paris. Il y a deux ans, sûrement. Une grande feuille de papier blanc. Plusieurs cercles concentriques. Et nous imaginions ce que nous voulions mettre dedans. Certains disaient « des poules et des chevaux », d'autres « un jardin potager et des arbres fruitiers au pied desquels on pourrait se hisser et cueillir des fruits juteux », d'autres pensaient à un espace de transformation de légumes. Et je me rappelle avoir posé les mots « guinguette » et « musique » et « danse » et « bar ». J'imaginais déjà les ampoules colorées autour d'une piste de danse, à la nuit tombée.

Avril 2017, on remet ça. Tous à Pourgues ! Notre premier grand week-end ensemble. On l'avait appelé « Tissage de liens » car on ne se connaissait pas encore tous très bien. On avait passé 2 jours à se projeter dans ce lieu rêvé. On s'était déguisés pour les repas. A chaque fois, un papier était pioché et une équipe devait cuisiner sur le thème indiqué. Avec Benjamin et Jérôme on avait décidé de commencer pour « mettre la barre haut ! ». On a transformé la salle à manger en fast-food « Best burger ». On a servi des hamburgers et frites maisons. Je m'étais donné un nom américain à la con et je servais les gens en short et casquette, en criant, d'une voix nasillarde : « Bienvenue chez Best Burger ! ».

Entre les repas à thème, Salma nous avait invité à créer une maquette sur laquelle on posait tout ce qu'on voulait voir à Pourgues. Avec David, à la place de la vieille dalle de ciment, on avait dessiné un bâtiment avec un bar, des gens qui dansaient au rez-de-chaussée, un acrobate sur un monocycle qui roulait sur... une guirlande Guinguette.

C'était juste du papier, du carton, avec des personnages dessinés dessus.

Septembre 2018, je descends la colline pour rejoindre la bâtisse et traverse la dalle. Je passe entre le bar construit en bois et en terre (à droite) et la scène sur la gauche. Après 1 an et 5 mois installés à Pourgues, les guirlandes sont devenues réalité. Nous avons fait notre première Guinguette sur cette même dalle en ciment. Le week-end dernier, il y avait du monde adossé au comptoir ; de la musique et des gens qui dansaient. Il y avait même un spectacle de clown ; des danseurs de tango ; de la relaxation coréenne ; une pièce de théâtre dans le terrain pentu ; un parking rempli ; des centaines de sourires ; et presque 40 bénévoles. En fait, il y avait une vraie Guinguette chez nous !
Et tapez moi la joue, mais j'ai encore du mal à réaliser.

Pourtant, ce n'était pas gagné. Comme dans un jeu vidéo où l'on doit franchir des niveaux, c'était un parcours de sauts d'obstacles d'organiser la Guinguette !

Le papier a commencé à se solidifier avec Benjamin quand on s'est dit « Ouais, on va organiser une Guinguette à Pourgues ! ». On a mis une nappe à carreaux sur la table du salon, servi quelques limonades dans des verres à pieds, suspendu ma guirlande de sphères colorées, joué de la musette dans les enceintes et invité les habitants à partager un verre autour d'un power point aux couleurs chatoyantes.

Comment les choses se créent à partir d'images et de concepts et trouvent leurs solutions naturellement dans la matière ?

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Comment les rêves passent-ils de papier à Guinguette à guincher ?

Moi, je pense qu'il y a un effet boule de neige. On va toujours plus loin, on pose toujours plus d'actes pour que ça prenne forme en vrai. Mais je pense que l'ingrédient essentiel à la réussite est la FOI. C'est la seule chose qui compte vraiment.

Raisonnablement, nous avions toutes les raisons rationnelles de ne pas croire à la Guinguette : pas assez d'argent ; pas les infrastructures ; pas les personnes mobilisées ; pas l'endroit idéal (l'Ariège est un des départements les moins riches et moins peuplés de France, les institutions n'ont pas d’argent, etc, etc.)

Au début, avec Benjamin, j'avais foi en la Guinguette. Et puis, je me suis mise à flipper. « Est-ce qu'on va y arriver ? On va jamais y arriver... Comment je vais trouver des groupes pour jouer alors qu'on n’a pas de budget ? » Rétractation, envie de me cacher dans une grotte. Ensuite, ce sont les autres organisateurs et les villageois qui s'y sont mis. « Euh, on s'y prend pas un peu trop tard ? » et « Y’aura jamais assez de monde ! » et « Un bar sans alcool ? Ça va jamais marcher ! » Questions, questions, peurs, peurs. Ma plus grande peur était le risque financier. Nous risquions de faire couler Pourgues.

Et puis, il y a eu un déclic. J'ai réalisé que le risque n'était pas aussi grand que ce que mon mental voulait me faire croire. Une lampe s'est allumée quelque part dans un recoin de mon cerveau « On peut y arriver ! J'ai confiance absolue ! ». Et alors, je me suis lancée dans le pari, à pieds joints.

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« Je ne perds jamais, soit je gagne, soit j'apprends. » Nelson Mandela

Cette phrase vient de s'afficher sur mon navigateur. Pile-poil quand je me remets à rédiger cet article. C'est sûr, il n'y a pas de hasard. Même les machines me le rappellent. Ça me fait penser à notre amie Caroline, qui est partie en voyage à vélo en Europe avec ses trois garçons. Elle avait demandé un conseil à un baroudeur : « Que dois-je faire pour que le voyage se passe bien ? ». Il avait alors répondu : « Te mettre en route. Les problèmes apparaîtront au moment venu et les solutions avec. »

C'est à 31 ans que je réalise que la vie, c'est prendre des risques. J'ai toujours eu une peur bleue des erreurs, peut-être à cause de l'école. Depuis toujours, je voudrais que les choses soient structurées dans un beau cadre avec toutes les réponses aux imprévus. J’en ai une image claire et une sensation de contrôle. Ainsi, j’ai souvent préféré rester dans ma zone de confort. C'était plus sécurisant que de tenter un pari, qui selon certains, ne tenait pas debout.

Avec ce projet de village et de Guinguette, quelque chose est en train de basculer en moi. Je comprends l'importance d'oser, même si tous les moyens ne sont pas réunis. La seule nécessité au départ, c'est de croire en son projet, puis d'y mettre toute l'énergie pour le rendre possible. Bien sûr, il y aura des doutes à certains moments. Mais je suis sûre que la vie, par un ensemble de hasards, de réponses et de solutions que je ne peux même pas envisager, va m'aider à le réaliser.

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Quelques exemples Guinguette de la force de la FOI :

Exemple 1 : NOTRE BAR

Notre bar avait été magnifiquement commencé par Maxime et Alexandre qui avaient réalisé la structure en bois, puis le bardage et la couverture du toit. Jonathan avait continué en mettant en place les plans de travail. Il devait partir. Je m'attendais à ce qu'ils ne soient pas terminés pour la Guinguette. Pas grave, ce sera déjà pas mal. Le lendemain, qui débarque à Pourgues ? Adrien, ébéniste de formation. Il prend la relève et termine le bar.

Exemple 2 : LES BADGES

Je voulais à tout prix faire de jolis badges pour les organisateurs. Mais nous n'avions pas le budget pour une plastifieuse. « Je les imprime chez un imprimeur du coin peut-être ? Hum... bon j'attends, au pire, je les ferais avec du carton et de la ficelle ». Renaud arrive en début de semaine pour démarrer l'installation Guinguette : « Mais, moi j'en ai une plastifieuse avec mon asso ! Et puis j'ai même un barnum (j'en avais besoin pour l'espace technique) et des talkie-walkies (pour les parkings) ! ». Euh, pincez-moi encore, j'ai du mal à y croire…

Exemple 3 : ALALA

J’avais découvert un super groupe de musique et je souhaitais les faire jouer pour la Guinguette (pour info il s’agit de Vertical Play, et je compte bien les inviter à un autre moment). Ils m’appellent pour me dire que finalement, ils ne peuvent pas. Zut, bon, je vais trouver autre chose… Comme par hasard, mes amis Alice et Goul du groupe Alala, sont à la maison : « Mais nous, ça nous plairait de revenir pour jouer pendant la Guinguette. En plus on est dispo ce week-end là, on viendra à trois ! » Oaw le pied, et même Mohamed le percussionniste est venu jouer !

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La force du collectif et de Superman

Cela m'amène aussi à parler de la force du collectif, du NOUS. La vie c'est comme une énorme parabole (comme celles pour capter le satellite à la TV). Si tu fais une demande, quelqu'un capte le message quelque part. « T'as besoin de talkie-walkies ? Vas-y j'en ai ! Une guirlande guinguette ? Simon, notre boulanger, en a une ! » Envoyer le message partout, comme quand on distribue des flyers et qu'on colle des affiches. Plus tu envoies le message, plus tu as de chance qu'il soit entendu.

Le collectif apporte des énergies et des idées que je n'avais même pas imaginées. Pour les toilettes sèches, nous allions utiliser les nôtres, rien de plus normal. Jérôme décide de poser un lavabo, et installe les guirlandes sur le chemin : des toilettes de rêve ont éclot ! Jérémy passe des heures à tondre la pelouse autour de la bâtisse. Je n'aurais jamais imaginé un si bel espace d'herbe ! Jérôme improvise un chemin et un théâtre de verdure à la tondeuse, si bien que je m'émerveille de cette ribambelle de gens qui cheminent en serpentant vers Les Crues. Renaud me rejoint pour installer des parasols puis ramener l'eau. Sarra m'aide à installer l'accueil. Liliana est finalement disponible pour aider Salma sur les affichages. Thomas improvise un espace pour les enfants avec des tissus et des coussins, à l’ombre. Là aussi il y a un effet boule de neige. Si je commence à y croire, NOUS y croyons et tout le monde veut jouer à ce jeu où chaque nouvelle pierre enrichit la structure. L'équipe du restaurant qui avait prévu de servir 40 personnes finit par en servir deux fois plus. Au bar, 40 kg de patates passent à 80 kg pour les frites. De nouvelles personnes débarquent à l'improviste pour aider. Elles rejoignent l'équipe accueil qui, comme par hasard, avait besoin de bras. Les exemples sont nombreux et n'ont cessé de m'émerveiller sur le moment venu. L'entraide et l'audace se transmettaient comme un joyeux virus. Je suis tellement pleine de gratitude.

Tout ceci me donne la force de croire en mes rêves. Je peux rêver un projet, le mettre sur le papier, et en moins d'un an cela peut exister. Peu importe les moyens que j'ai en cet instant. C'est inévitable, nous aurons tout ce qu'il faut pour l'accomplir au moment venu ! Faisons confiance aux solutions qui se présenteront sur notre chemin. La vie, l'univers, ou je ne sais quelle force à quel nom -appelons-la Superman- sera là pour nous. Superman sera toujours là pour nous faire réussir. Et notre esprit est bien trop étriqué pour savoir quelles solutions il va nous trouver. Laissons-lui le boulot, et occupons-nous du reste, les réponses viendront !





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"No limit" ou la recette de la bouillabaisse

J'ai parfois l'impression de vivre dans une énorme bouillabaisse où tous les éléments de ma vie se mélangent tels de petits légumes, bercés dans une sauce communauté.

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Hélène Marquer - cofondatrice du Village de Pourgues. Hélène a étudié la sociologie et le management des médias. Elle s'est vite rendue compte qu'elle ne tiendrait pas derrière un bureau. Elle a donc pris la caméra pour réaliser des vidéos sur la permaculture (pour l'association UCIT), l'éducation démocratique et d'autres sujets qui lui tiennent à cœur. La voici maintenant à Pourgues à la recherche de son artiste intérieur. Au village, elle s'amuse à organiser mariage, Guinguette, coudre des toiles de yourtes et des coussins, et danser quand elle peut !

"J'ai parfois l'impression de vivre dans une énorme bouillabaisse où tous les éléments de ma vie se mélangent tels de petits légumes, bercés dans une sauce communauté."

Cette phrase m'est venue un matin d'été. Alors que je ne connaissais pas la recette de la bouillabaisse et ne suis pas sûre d'y avoir déjà goûté. Ceci devait certainement être mon illumination du jour, inspirée comme j'étais dans mon mobil-home de bord de mer.

Il m'a donc fallu rechercher la recette de ce plat marseillais. Dans la bouillabaisse il y a de nombreux poissons différents (lotte, rascasse, congre, vive, grondin rouge, st pierre) -selon les envies du cuisinier-, puis des petits légumes (oignons, poireaux, etc.) et de la rouille (un mélange d'ail, de piments, d'huile d'olive, de lait et de mie de pain). A noter que dans la bouillabaisse, on met tout, y compris les rebuts de poisson (tête et queue). Quand j'ai vu les photos sur Google, ce plat m'a semblé appétissant (même si je ne mange pas de poisson), un mélange plutôt coloré de rouge, avec des feuilles de persils flottant au milieu des parts de poisson.

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Pourquoi ma vie au village ressemblerait-elle à une bouillabaisse ?

Ma première réponse serait : parce que tout se mélange. En vivant à plusieurs je ne sais pas toujours comment faire dans cette bouillabaisse très parfumée mais parfois complètement étourdissante. Il y a quelques mois et quelques années, je pouvais découper ma vie en morceaux, comme de petits légumes et chaque morceau avait son propre cadre et ses codes associés (le registre de langage, la configuration, les types d'interaction). J'avais par exemple la case université = cours, BU (bibliothèque universitaire), collègues de classe, emploi du temps, soirées arrosées, matinées embuées. La case maison = parents, sœur, bureau, lit, repos, créativité, refuge. La case Radio Campus : radio, collègues, fauteuils rouges, conversations journalistiques. De même quand j'observe la vie de mes voisins, j'imagine qu'ils ont une case maison/famille puis travail/collègues, parfois celle voiture/embouteillages, à certains moments la case temps libre/loisirs, la case « amis » et puis vacances/famille/voyage. A y réfléchir, en vivant dans ces cases, d'une certaine manière, j'y voyais assez clair. Je pouvais sautiller d'un segment de ma vie à l'autre, selon les envies. Et cette segmentation était possible car mes activités prenaient place à différents endroits.

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En vivant en communauté, les cases explosent, pimentant mon quotidien !

La case travail rejoint la case loisirs, se mixe avec la case amis et flirte souvent avec la case famille. Cela a du bon. J'apprécie de vivre avec des gens qui sont mes amis, tout près de moi. D'autres sont ma famille, que j'aime retrouver à chaque retour au village. Certains sont mes collègues et nous bossons avec élan sur nos prochains projets (celui d'organiser une Guinguette par exemple). En même temps, je me sens parfois noyée dans la bouillabaisse.

Je sais que certains du collectif aiment dire « Ici, le concept de week-end, ça n'existe plus, nous ne sommes plus attachés à ça ! ». Certes, pour certains, cela veut dire « Ici, c'est tous les jours comme les vacances puisque je décide de mon emploi du temps comme j'en ai envie ». Pour moi c'est parfois trop prenant, puisque le collectif étant mon lieu de vie, je peux difficilement m'en écarter, à moins de « partir en vacances ». Eh oui, j'ai remarqué que j'utilisais volontiers ce terme quand je sors du collectif... Intéressant.

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En fait, j'ai l'impression que le collectif, c'est un peu comme une entreprise : il y a tout le temps des choses à faire et j'ai du mal à m'autoriser du repos...

Maintenant, je ne vis plus dans la bâtisse donc je peux choisir de mieux segmenter mes moments. Mais des fois, il m'arrivait de descendre prendre mon petit déjeuner dans la cuisine commune et d'être plongée directement dans la sauce. J'entendais des remarques comme : « Tu sais qui a laissé traîner la cuillère dans le saladier toute la nuit ? », ou bien certains me questionnaient « Et, au fait, pour la procédure d'accueil, il faudrait penser à y ajouter une nouvelle proposition ! ». Maintenant que j'ai ma petite maison, je peux choisir quand je veux plonger à pleins poumons dans le collectif et ses challenges.

De même, imaginez que vous avez souvent, dans votre quotidien, des personnes nouvelles. Ce sont des visiteurs, amis des uns ou des autres, heureux d'être là et de vouloir faire votre connaissance. Et vous, manque de pot, c'est le moment où vous êtes mal lunés, vous êtes levés du pied gauche. Bref, vous n'avez aucune envie de socialiser et de répondre à cette personne qui vous demande « Mais où se trouvent les éponges propres ? ». (Nous avons même pensé à nous mettre des brassards aux bras pour signifier aux personnes qui voulaient nous parler, que nous étions disposés à être en relation (foulard vert), ou pas (foulard rouge). Cette idée me fait rire :). Et oui ! Il y a des moments, n'ayant pas de véritable limite entre un espace personnel et intime et un espace collectif, eh bien, j'ai besoin d'air.

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Mon cœur de poireau réclame la solitude

Comment vivre avec ma moitié dans un collectif ? Être à Pourgues a fait éclater certaines représentations que j'avais du couple. Ici, je peux passer une journée sans voir mon amoureux. Nous nous faisons souvent à manger à des horaires différents. Je ne me sens plus obligée à certaines actions estampillées « couple ». Non sans peur, je me libère de conditionnements, quitte à trouver de nouvelles manières de réinventer la relation. Nous voulons chacun avoir notre petite maison l'un à côté de l'autre, pour choisir les moments où nous voulons dormir et être seuls, et ceux où nous voulons nous retrouver chez l'un ou chez l'autre (à la manière d'amants qui se rejoindraient le soir en escaladant le mur pour atteindre la fenêtre...). Nous sommes tous deux trop attachés à notre précieuse solitude...

Ici, tout ce qui d'ordinaire est segmenté : famille – travail - amis est relié. Alors ce n'est pas facile d'y voir clair. Je vis avec les personnes avec qui je fais mes principales activités, avec qui j'ai des relations intimes. Hum hum... Comment je vis tout ça moi ? Mon moi se mélange avec mon couple qui se mélange avec un collectif, avec d'autres gens. Tout sur le même lieu. Parfois cela a ses bons côtés : je me fâche avec mon chéri, je ne veux plus le voir. Je n'ai qu'à descendre de la colline et plonger dans les bras de Liliana pour lui confier mon fardeau. De même, j'ai envie de sortir à un concert de jazz, je passe voir Xenia et nous partons ensemble. C'est simple et immédiat, je n'ai pas besoin d'envoyer 10 textos et appeler 6 personnes pour pouvoir fixer un RDV avec l'une que je ne verrai que dans 3h. Mais parfois j'aimerais que ce soit plus segmenté.

Alors je vais me discipliner !

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Bouillabaisse, je vais nager dans ton jus comme un poisson dans l'eau et choisir mon itinéraire !

Car je pense que le burn-out du collectif est vite arrivé. Si je vais dans la bâtisse, je peux voir 1000 choses à faire (rangement, organisation, etc.) et en même temps, avoir 1000 possibilités qui s'offrent à moi : jouer une petite partie de Splendor avec Arthur, jardiner avec Benoît. Cela me demande de clarifier ce que je souhaite faire et dessiner mes propres limites. C'est toujours jongler entre la détermination et le lâcher-prise, pour tout de même rester ouverte à ce qui se présente. J'ai l'impression d'être une sorte de funambule sur un fil, qui essaie à chaque instant de trouver l'équilibre. M'équilibrer entre mes besoins personnels, mes besoins en couple, mes besoins avec le collectif et ceux avec l'extérieur.

Puisque c'est comme ça, je vais recomposer la recette à ma façon ! On dit bien que les nouvelles recettes se sont faites avec des erreurs, n'est-ce pas chère tarte Tatin ? Alors qu'importe rouille, rascasse ou grondin ! Je peux vous remplacer comme je veux et re-doser mes ingrédients. Et puis j'imagine que selon l'humeur du cuisinier, le plat n'est pas le même. Alors dois-je sûrement apprendre à le déguster tel qu'il est ? Bouillabaisse, je t'aurai !!!

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Je fais c'que j'veux !

A priori, faire ce que l'on veut paraît simple. Mes premiers jours à Pourgues ont été relaxants. Mais en même temps me venaient des tonnes de questions : qui suis-je ? À quoi je sers ? Pourquoi je suis là exactement ?

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Hélène Marquer - cofondatrice du Village de Pourgues. Hélène a étudié la sociologie et le management des médias. Elle s'est vite rendue compte qu'elle ne tiendrait pas derrière un bureau. Elle a donc pris la caméra pour réaliser des vidéos sur la permaculture (pour l'association UCIT), l'éducation démocratique et d'autres sujets qui lui tiennent à cœur. La voici maintenant à Pourgues à la recherche de son artiste intérieur. Au village, elle s'amuse à organiser mariage, Guinguette, coudre des toiles de yourtes et des coussins, et danser quand elle peut !

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Je m'appelle Hélène. J'ai 31 ans.

L'année dernière j'en avais presque 30 quand j'ai débarqué avec ma twingo bleue à Pourgues. Le projet avait déjà démarré depuis un mois.

Après :

-un mois de quasi insomnie où je ne cessais de me voir en rêve traînant des valises débordantes, des bazars de poubelles sur un quai de gare

-un mois de dilemmes «est-ce que je reviens faire cette vidéo à Rennes, mais je serais installée, mince, je continue, je continue pas ? J'arrête, j'arrête pas ? »

-un mois de jalousies et de suppositions « mon mec est là-bas, il me parle presque pas au téléphone, ce sera fini, oui ce sera fini quand je vais débarquer. Si on est séparés, ça se passera comment ? »

-un mois de peurs, peurs PEURS peuuuuuuuurs, peur peur PEURS !!!!

J'ai décidé de tout lâcher. D'arrêter les activités que je menais et de sauter dans le grand bain. Inch allah aïe aïe caramba ! A moi liberté, autonomie, aventure !!! Je prends ma twingo et je me barre pour de bon !!!


J'ai fait la route pendant 9 heures. Une fois arrivée, je suis descendue en sueurs mais avide de découvrir cet eldorado de la liberté absolue. Et face aux montagnes, je me suis dit :

« Ca y'est ma route s'arrête ici. Car ici je peux faire ce que je veux ! Plus d'obligations, de pression, de il faut, je devrais. Ici je n'ai de comptes à rendre à personne. »

Et puis, je me suis vite rendue compte que ce n'était pas si facile...

« Qu'est ce que je fais là ? » vs « liberté chérie ! »

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Avant le village, je vivais à Rennes dans un HLM au 7è étage, et je me sentais presque mal de rester chez moi à regarder le ciel entre deux montages vidéos alors que les appartements autour de moi étaient vides. A Pourgues, on a tous fait le choix d'arrêter ce qu'on faisait avant, pour être là et vivre l'expérience. Je me suis sentie soulagée de ne plus être une extraterrestre qui nage à contrecourant du rythme bien rodé du réveil matin – petit dèj – boulot – retour – dodo – week-end et RTT. J'avais juste le droit de choisir mon rythme, mes activités, bref d'exister sans avoir une question du genre : « tu fais quoi comme métier ? » qui retentisse à mes oreilles.

A priori, faire ce que l'on veut paraît simple. Mes premiers jours à Pourgues ont été relaxants. Je passais mon temps à admirer le paysage, dessiner, faire des cocottes en papier, faire des bisous à mon amoureux, manger, dormir. Un pur délice. Mais en même temps me venaient des tonnes de questions : qui suis-je ? À quoi je sers ? Pourquoi je suis là exactement ? Me donner un break était un vrai soulagement et en même temps il fallait faire face au vide. « Eh oui, là plus personne ne va pouvoir te dire ce qui est bon pour toi ! »

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Solution de facilité

Après quelques semaines (ou jours?) de pure oisiveté, je commençais à avoir des scrupules. Mon mec traçait sa route, hyper productif, à faire des briques de terre crue tous les jours. Mac Gyver n'aurait pas fait mieux. Il avait beau me répéter : « Prends ton temps ma belle, profite d'avoir du temps pour toi... », je commençais à trépigner intérieurement. « Il faut que je fasse quelque chose, il faut que je me rende utile, il faut, je dois, il faut ». Je suis donc rentrée dans la phase : solution de facilité. « Puisque je suis là, autant que je serve à quelque chose dans ce projet. J'ai des compétences, il faut que je les mette à profit. » Solution de facilité par excellence : reprendre ses anciens réflexes, généralement ceux bien acquis car martelés pendant les études ou au travail. Rester dans sa zone de confort : dans ce qu'on sait faire. Exactement ce qu'il se passe pour la majorité des gens dans le monde du travail. Bravo Hélène, quelle innovation ! Alors je me suis mise à rédiger des comptes-rendus, des propositions, organiser des réunions pour structurer les choses.

En ai-je vraiment envie ?

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Après plusieurs réunions et actions, j'étais contente de me sentir utile, j'avais pris ma place, rempli un certain rôle. Mais ça ne me faisait pas si plaisir que ça. Je me mettais à regretter les coloriages et les cocottes en papier. Pire, je me mettais à avoir de la rancoeur envers certains qui, selon moi, n'en faisaient pas assez. Faire le ménage de la cuisine deux fois par semaine le soir me mettait hors de moi.

« Mais ici, tu es responsable de toi, ma cocotte, tu ne peux rien attendre des autres ! Alors pourquoi les fais-tu ? »

Il a fallu que je me pose les questions. Qu'est ce qui me motive à faire ce que je fais ? Qu'est ce qui me motive à faire le ménage ce soir ? A assister à cette réunion ?

En commençant à creuser ma galerie avec une petite lampe torche, se dessinaient les réponses sur le plafond : j'ai envie de faire des choses avec les autres, j'ai envie de leur plaire, de leur faire plaisir, de me rendre utile, de faire bien (car il faut que les gens m'aiment et me trouvent formidable), de prendre ma place (car les autres ne me remarqueront jamais sinon), d'être parfaite. Et puis apparaissaient mes peurs « Si je ne reste pas pour faire à manger, les autres me critiqueront et me rejetteront du projet », « Si je ne vient pas à cette réunion, qui le fera ? Rien ne va bouger »

Il a fallu petit à petit prendre mes peurs et mes envies en main. Il a fallu pour certaines les enterrer dans du sable avec une petite croix de bois. Et faire le constat suivant :

« Tu ne fais pas les choses avec la motivation sincère. Accepte d'être seule dans ce qui t'anime toi plutôt que de t'agglomérer à quelque chose qui ne te comble pas. Accepter d'assumer ce que tu souhaites vraiment au risque de déplaire. Accepte qu'il n'y a peut-être personne ici qui partage totalement ce que tu aimes et ce n'est pas grave. Accepte de faire des actions qui auront des conséquences que tu ne peux pas contrôler. Mais surtout, essaie de faire vraiment ce que tu veux. Observe ce qui guide tes actions. Fais des choix pour celles-ci. »

Alors je me suis mise à faire de la couture, sculpter du bois, faire du jardin, cuisiner des desserts végans, faire des stages d'empreinte végétales, de clown ou que sais-je. Je continuais à faire certaines choses pour me donner bonne conscience ou parfois parce qu'elles me semblaient utiles, bien évidemment. Mais j'ai essayé de me laisser le temps de voir ce qui m'animait vraiment. Il fallait que j'essaie plusieurs choses pour me poser la question suivante : est-ce quelque chose qui m'anime profondément ? A ce moment là je voulais goûter à tout, tout croquer comme un buffet à volonté, quitte à frôler l'indigestion.

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L'effet papillon

Se sont alors dessinés les contours de « je fais ce que je veux ». Petit à petit, je découvre ce qui m'anime vraiment. Je le vois comme le battement d'ailes d'un papillon qui rythme mon cœur à certains moments plus qu'à d'autres, qui me donne le sourire et la joie d'être moi, peu importe le reste et ce que les autres en pensent. Cela fait plusieurs mois que je fait des renoncements. Ce sont des petits deuils que je prends soin d'apaiser avec du baume d'amour. En même temps ce sont aussi des libérations. Non, ce n'est pas la voie que je choisis, parce que j'en choisis un autre. J'essaie aussi régulièrement de ralentir mon rythme car j'ai vite fait de vouloir boucler mon agenda pour me sentir exister, même dans un éco-village comme le notre.

J'ai l'impression qu'on nous a tellement répété que « dans la vie on fait pas ce qu'on veut », qu'on a bien enfoncé cette phrase comme un clou aussi difficile à retirer qu'Excalibur. Faire ce qu'on veut devient une quête du Graal qui demande de démonter tout ce qu'on s'est enfoncé dans le cibouleau depuis nos premiers pas à l'école, et dans cette société pas commode. En prenant ce chemin, je sens que petit à petit je me libère et je vais au plus près de moi. Je ne vais pas vous dire que c'est tous les jours facile et que je ne retombe pas dans mes biais, mais j'essaie petit à petit de devenir qui je veux.

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