Lettre de fin et de recommencement

Ramïn Farhangi

17 décembre 2025

En tant que fondateur de l’Écovillage de Pourgues, je reprends la parole publiquement aujourd’hui pour annoncer la fin du projet et le lancement du nouveau.

Bonjour à toutes et à tous,

Pendant presque 9 ans, Pourgues a été un récit écrit à plusieurs mains.
Un récit collectif, vivant, fragile, porté par des élans puissants et des engagements sincères. Il y a eu des moments d’harmonie, lorsque quelque chose de plus grand que nous semblait nous porter, et des moments de dissonance, lorsque la fatigue, les désaccords et les blessures prenaient le dessus.

Ce qui s’est passé cette année n’a pas été une simple fin de chapitre.
C’était une rupture de narration.

Je suis parti en avril dernier.
Ce départ est devenu nécessaire lorsque nous avons reconnu que nous n’avions plus la même étoile polaire collective : nos visions, pourtant sincères, s’étaient peu à peu éloignées jusqu’à ne plus pouvoir se rejoindre.

Depuis l’origine, mon engagement à Pourgues a été guidé par un centre clair : les enfants. Non pas seulement comme présence joyeuse dans le quotidien, mais comme point d’orientation d’un lieu de vie qui propose une approche éducative à l'avant-garde. La tentative — peut-être audacieuse, peut-être naïve — de prolonger l’expérience des écoles démocratiques à l’échelle d’un habitat collectif : un environnement où des enfants d’âges mêlés pourraient grandir libres, explorer, créer, apprendre à se confronter au réel sans les murs symboliques que nous dressons trop souvent autour d’eux.

Au fil des années, une autre vision s’est affirmée, tout aussi sincère : celle d’une tribu de cœur, soudée par des liens affectifs forts et par l’entraide, dans laquelle les enfants avaient pleinement leur place, mais sans être le point d’orientation central. J’ai longtemps cru que ces deux élans pouvaient cohabiter ici. Mais à Pourgues, ils se sont révélés irréconciliables dans les décisions bien concrètes du quotidien : la gouvernance, les priorités, et finalement le sens même du projet.

Lorsque nous avons annoncé mon départ avec Marjorie en juin, nous disions notre fatigue, notre besoin de pause, notre volonté de nous recentrer sur notre vie de famille et sur l’essentiel pour nous : offrir à notre fils un cadre cohérent avec nos valeurs. Ce départ était aussi, avant tout, la reconnaissance lucide qu’un projet collectif peut atteindre un point où continuer ensemble, malgré la bonne volonté de chacun·e, devient plus violent que de se séparer.

Après mon départ, un autre travail a commencé — plus silencieux, plus intérieur. Celui du deuil, à priori impossible, de renoncer après une décennie de dévotion à cœur perdu pour ce projet.

Je ne me suis pas effondré avec fracas. J’ai plutôt glissé, presque élégamment, dans une succession de stratégies de survie improvisées. En six mois, j’ai joué près de huit mille parties d’échecs en ligne — une addiction parfaitement légale pour rester concentré sur soixante-quatre cases quand le monde réel devenait trop insoutenable.

J’ai repris le yoga avec une assiduité nouvelle, sans doute pour tenter de retrouver un équilibre que la vie venait de m’ôter. Et puis il y a eu ce stage de respiration alchimique à l’Aérium, comme un rappel minimaliste : respirer, mettre un pied devant l'autre, et persévérer quand les repères s’effacent.

Et puis, à la fin de ce stage, quelque chose s’est détendu. J’ai senti revenir une joie profonde, d'abord discrète, que je croyais hors de portée pour longtemps. En me reliant à toute cette traversée — le drame, l’intensité, les stratégies de survie parfois grotesques — j’ai été pris de fou rires. Je pouvais enfin regarder tout ça avec tendresse. C’était le signe que je revenais à moi.

Pendant ce temps, à Pourgues, le collectif cherchait son propre équilibre tout en vivant une saison d’accueil particulièrement riche, avec des semaines bien remplies et des retours très positifs des participants.

Puis, à la Toussaint, le récit a bifurqué. Les vacances ont été annulées, la fête s’est tue. La préfecture a posé un diagnostic que personne n’avait envie d’entendre : Pourgues n'était pas aux normes ERP suffisante pour accueillir tout ce beau monde.

Dans les jours qui ont suivi, l’équipe a ainsi subi la fermeture administrative des activités d’accueil immersif et de stages. Le choc a été brutal.

C’est souvent ainsi que les projets idéalistes vacillent : non sous l’effet d’une opposition frontale, mais sous le poids cumulé de contraintes auxquelles ils n’étaient pas préparés. Pour celles et ceux qui tenaient encore le lieu, ce moment a installé un sentiment profond d’impuissance — celui d’un rêve qui se heurte, encore et encore, à une réalité administrative avec laquelle il devenait de plus en plus difficile de composer.
Ils ont préféré jeter l'éponge et quitter le projet.

Je veux dire ici mon respect pour ce qu’ils ont traversé. Beaucoup de personnes vivent aujourd’hui cette fin comme un deuil profond, un déracinement intérieur. J’aimerais que celles et ceux qui souffrent se sentent vus, et que l’on reconnaisse sincèrement que cet arrêt laisse une marque.

Alors, pour ne pas laisser ce chapitre flotter dans le silence, je vous partage aujourd'hui que Pourgues est entré dans un processus de compostage. Transformer, laisser l’oxygène entrer, permettre à ce qui a été vécu de nourrir autre chose.
Courant 2026, vous recevrez régulièrement des témoignages et souvenirs de cette histoire collective.

Et pour que ce legs ne reste pas seulement une trace, mais devienne une transmission, j’ai amélioré ma formation à distance Fonder un Collectif, avec des synthèses de mes vidéos, des exercices pratiques et des outils prêts à être employés.
Elle peut se suivre à distance en autonomie, mais également en groupe, avec un rassemblement à Paris les 21 et 22 mars. Si cela permet à d’autres projets d’éviter certaines erreurs que nous avons faites, alors l’expérience aura trouvé une forme de justesse.

­ Formation "Fonder un collectif" ­

Je souhaite aussi vous inviter à un moment particulier.

Le mardi 13 janvier, à 20h, j’animerai une conférence intitulée « Ce qui a tué notre projet d’écovillage ». Ce sera une autopsie — pas macabre, mais lucide. J’y raconterai ce qui s’est passé en 2025 depuis mon prisme : les crises parallèles, les frictions souterraines, ce que j’ai compris trop tard, et ce que je referais autrement. Une heure et demie pour éclairer une fin qui mérite mieux que des rumeurs.

­ Je m'inscris à la conférence ­

Mort et naissance se vivent en parallèle.

Pendant ce temps, un nouveau projet germe : Bloom Hills.

Bloom Hills est né de ce même désir profond de créer un lieu où l’on puisse vivre, grandir et apprendre en famille, mais en intégrant pleinement les enseignements de ce que nous avons traversé avec Pourgues. Non plus un projet porté par une ambition collective si vaste qu’elle finit par s’effondrer sous son poids, mais un lieu de vie plus humble, focalisé sur une seule et unique mission commune : vivre un collectif multiculturel de familles pratiquant le homeschooling, convaincues de la puissance des apprentissages autodirigés et du jeu libre.

Le projet renoue ainsi avec son élan fondateur : un environnement multi-âges où les enfants apprennent en explorant librement le monde réel, en participant à la vie commune, entourés d’adultes présents, engagés et bienveillants.

Ce n’est pas un retour en arrière.
C’est une reprise plus consciente, plus sobre, et plus incarnée.

Je vous invite à découvrir ce nouveau projet, que Tiaré et moi portons ensemble en repartant de la case départ :

­Je découvre Bloom Hills ­

Il y a des histoires qu’on ne clôt pas.
On les transforme.

Merci d’avoir été là, de près ou de loin, dans l’enthousiasme comme dans le doute.

Pourgouyeusement forever,

Ramïn ♥